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de l’allemand (zeche), sont restés en Russie des cadres inanimés, presque de simples registres d’inscription pour la police.

La population des villes demeure depuis Pierre Ier et Catherine II partagée en cinq ou six rubriques réparties en deux groupes principaux : le gros commerce ou les marchands, formant la classe supérieure, classe longtemps privilégiée, et les petits commerçans, les artisans de toute sorte, divisés en plusieurs catégories qui ne diffèrent guère entre elles que par le nom. Il y a les mechtchané, petits bourgeois ou citadins, les remeslenniki ou artisans, les tsekhovye, membres des corps de métier ; il y a les raznotchintsy, sorte de caput mortuum, contenant tous les gens qui ne sont rangés dans aucune autre classe. De toutes ces catégories, la première est la plus importante et peut être regardée comme le type de toute la population inférieure des villes. Le terme de mechtchanine est d’ordinaire traduit par bourgeois ; l’homme qui porte ce nom russe répond cependant bien peu au mot français. Le mechtchanine est l’habitant des villes qui, n’étant ni noble ni prêtre, n’est pas assez riche pour être inscrit parmi les marchands et ne fait pas non plus partie d’une corporation d’ouvriers. Il vit d’ordinaire d’un petit commerce ou de métiers divers. Beaucoup n’ont point de moyens d’existence assurés. Il y a ou il y avait, jusqu’à ces derniers temps, une limite imposée à leur commerce et à leur fortune immobilière ; ils ne pouvaient dépasser un certain chiffre d’affaires ni posséder un immeuble de plus de cinq ou six mille roubles. Pour aller au delà, ils devaient se faire inscrire parmi les marchands. Bien qu’il soit proprement l’habitant légal des villes, le citadin par excellence, le mechtchanine est souvent obligé d’aller chercher fortune au village. Dans certains gouvernemens, le nombre des mechtchané établis à la campagne est considérable, tandis que le paysan qui dans le travail de la terre ne peut toujours trouver une occupation permanente ou une rémunération suffisante, se presse fréquemment dans les villes et y a conquis le monopole de divers métiers. A Saint-Pétersbourg seul, vivent plus de 100,000 paysans[1]. Les deux classes changent de résidence et prennent souvent ainsi la place l’une de l’autre, tantôt se faisant concurrence pour le travail manuel et le petit commerce dans les fabriques ou dans les foires, tantôt gardant chacune leurs professions de prédilection, le mechtchanine apportant à la campagne les arts et les procédés de la ville, le moujik apportant à la ville ses bras, sa hache, son cheval : tous deux exposés dans cette

  1. Selon le Statistitcheskii Vrémennik (1871, p. 85), il y en avait 151,000 à Pétersbourg et à Kronstadt.