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toute force réelle et ne sont plus conservées que comme un musée d’antiquités qui rappelle le passé national. La pairie hongroise est peut-être celle du continent qui se soutient le mieux et qui durera le plus longtemps ; mais son importance ne saurait se comparer à celle de la chambre basse.

Jusqu’à présent, nous avons envisagé les institutions politiques de la Hongrie dans leurs ressorts intérieurs, comme s’il s’agissait d’un peuple homogène sous un roi indigène, et la question se posant dans ces termes-là, nous pourrions dire que nulle nation de l’Europe, malgré d’incontestables défauts, ne présente plus de garanties de vie politique sérieuse et de sages progrès. Ce point de vue trop avantageux est celui où se placent volontiers les Magyars optimistes : on leur rendra service toutes les fois qu’on leur rappellera le double écueil qui les menace constamment. D’une part en effet, leur pays ne forme pas une monarchie indépendante, leur roi étant aussi l’empereur d’Autriche ; d’autre part, sur leur propre territoire, ils ne sont pas la moitié de la population, la majorité se composant de trois races très distinctes ; les Roumains, les Allemands, les Slaves qui sont au nord des Slovaques et des Ruthènes, et des Serbes au midi. Ces deux difficultés, très graves déjà par elles-mêmes indépendamment l’une de l’autre, deviennent bien plus redoutables encore si elles se réunissent, si les nationalités deviennent les alliées de la dynastie, coalition qui s’est déjà réalisée plus d’une fois. Lorsque des orateurs ou des journaux magyars, se refusant à tenir compte de ces périls, raisonnent comme si les choses se passaient à Londres, en pleine sécurité, entre les diverses nuances de la chambre des communes, ils méritent le reproche d’arrogance et de légèreté que leur adresse quelquefois la presse européenne.

De tels reproches sont d’autant plus mérités que ces dangers ne sont pas inévitables. S’ils étaient pressans au point de laisser entrevoir une destruction imminente, on comprendrait que la nationalité hongroise, renonçant à des tempéramens inutiles, jouât le tout pour le tout et risquât la mort contre le triomphe. Bien au contraire, la modération et le bon sens suffisent, dans notre conviction, à conjurer les périls que les ennemis de la Hongrie se plaisent à exagérer.

La plupart des hommes éclairés du pays n’ont pas besoin qu’on leur prêche la concorde avec l’Autriche, surtout avec l’empereur François-Joseph, qui pour eux et sur leur territoire ne saurait être que le roi. Ils savent que ce prince n’éprouve pas à leur égard les sentimens de défiance, presque d’aversion, que nourrissaient plusieurs de ses devanciers, que, tout au contraire, il les a en affection et en haute estime, ils connaissent l’accueil affable de la reine qui parle leur langue avec facilité et qui a repris la tradition des