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anciennes souveraines populaires. Ils se rendent compte des bienfaits longtemps inespérés du compromis entre les deux moitiés de la monarchie, de l’avantage qu’il y a pour eux à ne supporter que les trois dixièmes des dépenses communes. Ils voient un Andrassy premier ministre de tout l’empire, un Apponyi ambassadeur à Paris, un Karolyi ambassadeur à Berlin, combien d’autres dans les situations politiques les plus enviées ! Malgré tout cela, il est impossible de se dissimuler que le vieux levain de haine instinctive contre l’Autriche n’a pas disparu de tous les esprits. Ce sentiment a été trop justifié pendant des règnes entiers pour n’avoir pas plongé dans les âmes des racines profondes. La passion a disparu, mais la défiance n’est qu’endormie, et il suffit de peu de chose pour la réveiller, sinon à l’égard du prince, du moins à l’égard de ses conseillers habituels et des hommes d’état cisleithans.

Les rapports mutuels de la Hongrie et de l’Autriche ne sont pas sans fournir quelques prétextes au moins spécieux à cette tendance chagrine. Les économistes de Pesth se plaignent de voir les intérêts hongrois sacrifiés dans les questions relatives aux douanes, et ils sont préoccupés de l’établissement d’une banque nationale indépendante. Il est possible qu’à ces deux points de vue et à quelques autres la Transleithanie ait encore des progrès légitimes à souhaiter. Ce qui est fâcheux, c’est que des réclamations, même sérieuses et modérées, semblent encourager les aspirations chimériques de l’opposition extrême vers l’absolue indépendance du pays, c’est-à-dire vers le démembrement de la monarchie austro-hongroise. En effet, la sainte couronne magyare dût-elle être conservée à la maison de Habsbourg, la séparation complète des deux états équivaudrait à un démembrement. Nous conjurons les électeurs et les représentans de cette nation qui a de si précieuses qualités politiques, de bien envisager les conséquences d’un événement semblable, non-seulement pour l’Europe, mais avant tout pour eux-mêmes, et de faire tous leurs efforts pour prévenir jusqu’à la possibilité d’un aussi funeste dénoûment. Ils peuvent être assurés que dans les graves sujets qui agitent aujourd’hui la politique orientale, leurs intérêts spéciaux et leur honneur national, comme un ministre l’affirmait naguère au parlement, seront toujours pris en considération très sérieuse. Pour eux comme pour d’autres nations, l’impatience serait aujourd’hui une faute mortelle.

Les Magyars ont d’autant moins le droit de commettre cette faute que les autres nationalités en dedans et au dehors de leurs frontières ne manqueraient pas d’en profiter. Ils sont dans une situation tellement avantageuse, malgré ce qu’ils peuvent encore désirer, qu’ils ne pourraient que perdre à un bouleversement quelconque.