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l’expérience les préservera bientôt. Lorsque ce progrès se sera accompli, lorsque les changemens sociaux amenés par les révolutions politiques ne pèseront plus sur les finances et sur l’économie rurale, lorsqu’une nouvelle série de belles récoltes aura produit ses effets, en un mot, lorsque la Hongrie sera sortie de cette épreuve multiple qu’elle supporte encore mieux que ne le feraient bien d’autres nations, alors elle sera certainement l’un des membres les plus prospères de la société européenne.


III

Si l’état politique de la nation magyare peut faire naître à la fois l’admiration et l’inquiétude, si les intérêts matériels traversent une crise sérieuse sans être redoutable, la situation religieuse et intellectuelle est plus rassurante et plus enviable que dans les autres pays de l’Europe presque sans exception.

La diversité des religions n’est pas moins frappante que celle des races et des langues : dans la Hongrie proprement dite, Transylvanie comprise, 7 millions au moins de catholiques romains, 2 millions de protestans réformés ou calvinistes, 1,200,000 protestans luthériens, 60,000 unitaires, 1,500,000 grecs-unis, 2 millions 1/2 de grecs orientaux, 500,000 Juifs ! On peut dire que nul pays du monde chrétien ne présente une telle bigarrure religieuse, car les nombreuses églises des États-Unis ont pour la plupart la même croyance et ne sont séparées que par des nuances relatives au culte public ou à l’organisation. L’hostilité des religions semblerait devoir être envenimée par la rivalité des races ; en effet, les réformés sont tous de purs Magyars, les grecs orientaux sont tous des Slaves du sud ou des Roumains, les grecs-unis presque tous des Ruthènes, les luthériens presque tous des Allemands ou des Slovaques ; parmi les catholiques romains, les Magyars dominent. On pourrait donc croire que la singulière recrudescence des passions confessionnelles, qui est un des fléaux de la société contemporaine, trouve en Hongrie un terrain merveilleusement préparé.

Il n’en est rien : les rapports entre les membres des différentes églises et les ministres des différens cultes sont empreints de bienveillance et de cordialité. Si parfois ils semblent se gâter, c’est qu’il y a au fond une question politique, une question de race, qui ne tarde pas à se dégager des fausses apparences d’une querelle religieuse. Si les Juifs sont mal vus dans certaines régions, cela tient à leur supériorité commerciale, à ce que leurs voisins s’alarment de voir les terres passer entre leurs mains : ils sont