Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/637

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

redoutés comme financiers plutôt que haïs comme infidèles. Ce sont là d’ailleurs des exceptions. Nous avons entendu récemment des conversations tout à fait amicales et paisibles sur les questions les plus brûlantes de la critique théologique, les ecclésiastiques catholiques s’entretenant avec une curiosité bienveillante, et non pas avec un ignorant dédain, des discussions qui agitent le monde protestant. Nous avons vu un aimable prieur de franciscains se promener dans son couvent en donnant le bras au pasteur protestant du village, qui entretient avec lui de fréquentes relations. Dans les séances et dans les travaux de l’académie royale, les membres des deux églises et des deux clergés, le pasteur Révész, comme l’évêque Ipolyi ou le pasteur Ballagi, apportent également leur pierre au monument de l’histoire nationale, malgré les mauvais souvenirs que pourraient éveiller beaucoup d’événemens des trois derniers siècles.

Nous venons d’indiquer un des secrète de cette bonne entente » devenue si rare ailleurs qu’en Hongrie. Le patriotisme ne s’y est point énervé ; loin que rien fasse supposer dans l’avenir un affaiblissement de ce sentiment vivace, il est constamment aiguisé par les périls d’une race entourée de rivalités. Tout ce qui est magyar, tout ce qui sans être purement magyar tient à l’existence de la Hongrie autonome, constitutionnelle et libérale, se serre autour du drapeau national sans distinction départis religieux. Bien n’est plus conforme à la tradition historique : les actes odieux de fanatisme qui ont été commis surtout pendant le XVIIe siècle étaient l’œuvre des étrangers. Les jésuites, qui ont été longtemps les plus dangereux adversaires de l’indépendance hongroise, bien que leur ordre ait donné au pays quelques savans distingués, sont regardés comme des ennemis par ces prêtres et ces prélats, qui dans leur jeunesse prenaient les armes pour la cause nationale. Au contraire, les protestans sont connus pour avoir vigoureusement résisté à l’Autriche absolutiste, et un évêque historien nous disait qu’on leur devait de la reconnaissance pour leur invincible attachement aux libertés de la patrie.

Cette heureuse et paisible situation religieuse n’est point causée par l’oubli ou la négligence des institutions propres à chaque confession : tout au contraire, chacune d’elles a conservé avec une rare fidélité l’organisation et l’esprit qui la caractérisent. L’épiscopat catholique, bien qu’il soit sur un pied de relations amicales et fraternelles avec le clergé inférieur et ne prétende pas le faire marcher comme un régiment, est entouré de l’éclat et de la richesse qui conviennent, dit-on, à une église hiérarchique. Il siège tout entier à la chambre haute ; il possède de vastes domaines, si vastes