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figure de celui qu’on a appelé le père Enfantin, nous répétons que ce qu’il y a de moins connu dans le saint-simonisme, c’est Saint-Simon ; et il est à regretter que ses disciples n’aient pas saisi l’occasion qui leur était offerte d’élever à leur premier maître, au vrai fondateur de l’école, un monument durable dans une publication tout à fait complète de ses œuvres. Celui d’entre eux qui s’était chargé du travail nous dit lui-même qu’il n’a pas voulu donner cette édition, qu’il s’est borné à en préparer les matériaux. Se retrouvera-t-il jamais quelqu’un pour une telle entreprise ? Il faut reconnaître cependant que le nouvel éditeur aura singulièrement facilité la tâche par les recherches bibliographiques auxquelles il s’est livré, et par le travail critique dont il accompagne sa publication, travail d’une abondance et d’une précision de détails des plus méritoires quand on songe à la difficulté de l’œuvre : il mentionne, il paraît avoir recueilli et même posséder encore entre les mains la moindre feuille d’impression sortie de la plume de Saint-Simon ou de celle de ses collaborateurs : c’est là une collection précieuse qui, nous l’espérons, ne sera pas perdue, et pourra rejoindre un jour les archives saint-simoniennes. Cependant, malgré tous ces matériaux, on n’a cru devoir nous donner encore qu’une édition choisie, beaucoup plus riche, je le reconnais, qu’aucune des précédentes, mais qui ne laisse pas de présenter de notables lacunes. C’est ainsi que les écrits de Saint-Simon relatifs à la philosophie générale et aux sciences et qui l’ont occupé pendant tout le temps de l’empire, écrits intéressans en ce qu’on peut y trouver le point de départ de la philosophie positive, ne nous sont donnés qu’en résumé[1]. C’est ainsi que le Catéchisme industriel, déjà réimprimé sans doute, mais en partie seulement, avait été omis par l’éditeur, et vient seulement d’être publié à la suite des lettres d’Enfantin, séparé ainsi des autres œuvres de Saint-Simon par toute l’œuvre de celui-là[2]. C’est ainsi encore que l’éditeur ne nous a pas donné la troisième partie du Système industriel, ni dans la seconde, la Lettre à messieurs les Ouvriers, très significative, car elle indique le moment où Saint-Simon a commencé à se tourner vers le prolétariat : on peut signaler encore d’autres lacunes. Enfin il semble qu’une édition de ce genre devait comprendre non-seulement ce que Saint-Simon avait

  1. On trouvera ces écrits avec un portrait de Saint-Simon dans l’édition en trois volumes in-12, publiée à Bruxelles en 1859 par M. Lamonnier. L’éditeur y a ajouté une grande étude sur les doctrines de Saint-Simon. Quant aux rapports de Saint-Simon avec la philosophie positive, on peut consulter le livre de M. Littré, Auguste Comte et la philosophie positive, ch. V, p. 74.
  2. C’est M. Laurent de l’Ardèche qui a repris ici l’édition. Il a introduit avec raison dans son dernier tome le troisième cahier du Catéchisme industriel, qui est de la main d’Auguste Comte, et qui a été l’occasion de la rupture entre les deux philosophes, mais qui doit faire partie intégrante des œuvres de l’un et de l’autre.