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plan de l’empereur Alexandre a été communiqué en trahison à Bonaparte : quarante-huit heures avant le jour fixé pour l’exécution, celui-ci attaqua à la pointe du jour. Dès le début, la moitié des Autrichiens posèrent les armes, l’autre moitié passa à l’ennemi, et quelques-uns même tirèrent sur les nôtres. La garde se trouva prise entre deux feux, etc. » Nos malheureux nouvellistes de 1870 n’ont rien imaginé de plus fou.

La correspondance avec Voronzof reprend le 28 avril 1813. Que d’événemens dans l’intervalle ! Rostopchine a été gouverneur de Moscou, de cette cité tragique où la Providence, suivant ses expressions, « avait marqué le tombeau de la puissance de l’homme-diable. » C’est du milieu des ruines de la ville sainte que Rostopchine écrit à son ami. Sa première lettre est encore toute frémissante des passions de la lutte telle nous montre l’exaspération des populations levées en masse contre l’envahisseur et le funèbre champ de bataille de Borodino, où Rostopchine a du faire brûler sur des bûchers 58,650 cadavres d’hommes et 33,000 de chevaux. Ne pourrait-on espérer que ces lettres si émues seront sincères ? Faut-il renoncer à y trouver quelque élan spontané, quelque aveu involontaire, qui donne la solution de cette question tant de fois controversée : Rostopchine est-il vraiment l’auteur de l’incendie ? Je renvoie à Schnitzler et à M. de Ségur pour l’énumération des argumens en faveur de l’affirmative. Ils paraissent concluans, car presque tous les historiens russes, français, allemands, anglais, de Wolzogen à M. Bogdanovitch, de Robert Wilson à M. Thiers, ont attribué à Rostopchine l’honneur et la responsabilité de la catastrophe. Comment se fait-il pourtant qu’en 1823, en réponse à certaines publications sur la campagne de Russie, il ait écrit sa Vérité sur l’incendie de Moscou, où tout le monde a vu une dénégation formelle ? Elle parut même si péremptoire qu’on ne chercha plus qu’à l’expliquer par les considérations d’intérêt personnel : on pensa que, désireux de retourner à Moscou, Rostopchine voulait se réconcilier avec les habitans, qui l’accusaient de leur misère et de leur ruine. C’est pour retrouver la paix dans sa patrie qu’il consentit, suivant l’expression de Schnitzler, à passer sous les fourches caudines. Son petit-fils n’ose s’expliquer sur les motifs, mais il convient que « cette dénégation, subsiste comme une ombre dans cette belle vie et comme une preuve nouvelle après tant d’autres que les plus fiers esprits et les caractères les plus indépendans ont leurs momens de défaillance. » Plus récemment M. Barténief a essayé de défendre le comte Féodor. « Dans son livre, écrivait-il en 1872, Rostopchine ne songe nullement à se justifier de l’incendie de la capitale, comme l’ont proclamé les écrivains étrangers et après eux les Russes qui n’avaient pas lu sa brochure : il dit seulement