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manifestation, et par son attitude même il prévenait jusqu’à la possibilité d’une solution pratique. Il voyait bien d’où venait le coup ; il pouvait jusqu’à un certain point l’éluder officiellement, il ne pouvait plus empêcher l’éclat. Le comte Walewski avait de dures paroles pour le système intérieur du roi de Naples, et il convenait que la situation de Rome, des états romains, réduits à vivre sous la protection étrangère, était parfaitement « anormale. » Lord Clarendon, plus sévère encore pour le roi de Naples, déclarait tout net que le gouvernement pontifical était le pire des gouvernemens, que la condition de la Romagne, placée entre l’état de siège autrichien et le brigandage, était affreuse, et qu’il n’y avait d’autre remède que la sécularisation, des réformes libérales, une administration conforme à l’esprit du siècle. Cavour, à qui on faisait la partie si belle, venait à son tour déclarer que tout ce qu’on disait était vrai et qu’il y avait quelque chose de plus encore ; il montrait que ce qu’il y avait « d’anormal, » ce n’était pas seulement la situation des états pontificaux et de Naples, c’était la situation de la péninsule tout entière, que l’Autriche, étendant son pouvoir du Tessin aux lagunes de Venise, campée à Ferrare et à Bologne, maîtresse de Plaisance, ayant garnison à Parme, détruisait par le fait l’équilibre politique de l’Italie et constituait pour la Sardaigne un véritable danger, « Les plénipotentiaires de la Sardaigne, disait-il en face du comte de Buol, croient donc devoir signaler à l’attention de l’Europe un état de choses aussi anormal que celui qui résulte de l’occupation indéfinie d’une grande partie de l’Italie par les troupes autrichiennes. ». » Ce qu’il disait le 8 avril au congrès, il le confirmait plus énergiquement encore peu de jours après dans une communication à la France et à l’Angleterre, dans une noté du 16 avril où il déclarait qu’on créait au Piémont une condition insupportable, que, si on ne faisait rien, on allait le réduire à l’alternative terrible de se courber comme les autres états italiens sous la prépondérance autrichienne ou de recourir aux armes. « Troublé à l’intérieur, disait-il, par l’action des passions révolutionnaires suscitées tout autour de lui par un système, de compression violente et par l’occupation étrangère, menacé par l’extension de la puissance de l’Autriche, le gouvernement du roi de Sardaigne peut d’un moment à l’autre être forcé par une inévitable nécessité à adopter des mesures extrêmes dont il est impossible de calculer les conséquences… » C’était en un mot le procès de toute une situation, de toute une politique, instruit devant l’Europe par l’homme le plus hardi, et, si tout se réduisait pour le moment à un protocole dénué de sanction, la vivacité avec laquelle la question avait été engagée révélait la gravité croissante des affaires d’Italie.

Cavour n’avait-il espéré rien de plus qu’un protocole de congrès ?