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l’avènement de la fille de Catherine d’Aragon, qui ne lui a jamais pardonné l’outrage fait à sa mère, dont il a prononcé le divorce. Il sent qu’un mauvais quart d’heure se prépare pour lui. Tous les évêques se sont enfuis ou vont s’enfuir, les uns en Allemagne, les autres en Suisse. Fera-t-il comme eux ? On le lui conseille. Pierre Martyr vient lui rappeler tous les motifs de haine qu’il a accumulés sur sa tête. N’a-t-il pas signé les lettres-patentes qui donnaient la couronne à lady Jane ? Ne refuse-t-il pas de croire à la présence réelle dans l’eucharistie ? Ne vient-il pas d’écrire une lettre hardie quand, pour plaire à la nouvelle reine, un moine a voulu rétablir la messe à Canterbury ? Que de raisons pour s’en aller ! Et d’autre part, s’il abandonne son siège, quel scandale pour la foi des âmes simples ! Il restera. Au moment même où il prend cette résolution, les officiers de la reine viennent le chercher pour le conduire à la Tour. Il peut remercier Dieu : il est trop tard pour fuir. La scène est fort belle, quoiqu’elle ne soit qu’un hors-d’œuvre, car Cranmer ne reparaîtra plus qu’au quatrième acte ; mais l’âme vacillante du prélat y est peinte en quelques traits heureux. Le drame ne commence véritablement que lorsque Elisabeth fait son entrée. On sait par quels efforts de volonté, avec quelle diplomatie savante la brillante sœur de Marie Tudor parvint pendant cinq mortelles années non à se faire oublier, car bien des espérances secrètes ne cessaient de reposer sur elle, mais à s’effacer dans une retraite volontaire, à y déjouer les pièges qu’on lui tendait de toutes parts. Dans cette partie qu’elle conduisait contre de plus forts qu’elle et dont l’enjeu n’était rien moins que sa tête, elle ne commit pas une seule faute. A la cour ou dans l’exil, épiée par les traîtres jusque dans ses discours les plus indifférens, sollicitée par ses partisans et tentée par ses ennemis, on ne put obtenir d’elle ni qu’elle assistât à la messe, ni qu’elle se laissât entraîner à la conspiration que certains membres de la noblesse tramaient en sa faveur. Enfermée, puis relâchée tour à tour, et se sentant peut-être plus sûre en prison qu’elle ne l’était en liberté, elle vint à bout de la finesse d’un Simon Renard et de la haine d’un Gardiner. Cette lutte d’une jeune fille qui n’avait pour elle que des sympathies dangereuses, et contre elle sa beauté, ses talons, sa naissance, l’aversion d’une reine presque toute-puissante et celle de ses conseillers, cette lutte n’est pas indigne de la muse tragique, mais le poète ne nous en a montré qu’une partie.

C’est avec le nom de Philippe sur les lèvres que la reine est introduite dans le poème. Les romans du XVIIe siècle nous parlent souvent de ces princesses que la renommée d’un héros ou la vue de son portrait enflammait tout d’abord et pour toujours ; Marie n’a rien à leur envier, à cet égard. Le titre seul de Philippe, fils