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disait autrefois, et si leur tolérance prend parfois l’apparence du scepticisme, du moins ne sont-ils pas fermés à la miséricorde. Ils ont vu sous Henry profaner avec d’horribles refrains les objets du culte qui était alors celui de toute l’Angleterre, et ils pensent que ces brutalités impies ont appelé la persécution présente. Ils viennent de voir mourir Latimer et Ridley, et ils estiment que tout hérétiques qu’ils fussent, ils étaient de vrais Anglais. Action et réaction, voilà pour eux le résumé des règnes qui se succèdent sous leurs yeux, et ce mouvement de bascule leur fait prendre en pitié le monde-enfant où la destinée les a placés. Hommes d’état dégoûtés pour un moment des affaires publiques, ils philosophent pendant que la tempête se déchaîne, laissant tomber un regard attendri sur les victimes. La plus illustre de toutes expie, en cet instant même, la part qu’elle a prise à la réformation religieuse.

M. Tennyson a fait de l’auto-da-fé de Cranmer le point culminant de son œuvre. Il a réservé à ce personnage, si calomnié pour avoir en face du supplice laissé frémir la chair et le sang, toute la sympathie de son âme et tout le pathétique de son drame. Cranmer s’est rétracté. Le cardinal Pole, qui demain occupera le siège de Cantorbéry, devenu vacant, a prouvé au vieillard qu’il y a folie à se croire plus sage que les pères de l’église réunis, et qu’il a tordu le sens des Écritures, corrompu par les promesses terrestres. Et le prélat, dont les mains étaient pures, mais la conscience timide, s’est courbé sous l’injure et a fait sa soumission. Il a renié toutes ses croyances, tous ses actes, toute sa vie. On l’a fait languir un mois dans la certitude de sa honte et dans l’incertitude de son sort. Maintenant on vient lui dire qu’il ne lui reste plus qu’à lire sa rétractation devant le peuple, puis à péril, par le feu. Pourtant on lui accorde une grâce : il pourra parler avant de mourir. Hélas ! que dira-t-il ? Ses ennemis espèrent que ces adieux suprêmes ajouteront encore à l’ignominie de sa conduite, et que le représentant de la réformation s’avilira jusqu’au bout. Quant à ses amis, ils sentent bien qu’on ne peut pas attendre de Cranmer plus d’héroïsme sur le bûcher qu’il n’en a fait voir dans la prison. En effet, Cranmer tremble à la pensée des flammes. Il se souvient que sa propre main a signé aussi de cruels arrêts, celui de la sorcière Jeanne de Kent par exemple, et il se prend à songer que tous ces fagots sont sans profit pour ceux qui les allument. C’est avec ces sentimens qu’il entre dans l’église de Sainte-Marie d’Oxford, où il va s’adresser au peuple du haut du pilori qu’on lui a préparé. Le père Cole l’invite à proclamer sa foi pour donner le bon exemple à la foule, et Cranmer commence à s’exprimer dans les termes mêmes de la liturgie magnifique qu’il a donnée à l’église anglicane. « O Dieu, Père céleste !