Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/947

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aussi novices, aussi peu solides qu’en 1808. Les adversaires vraiment redoutables pour nous en Espagne étaient les Anglais, bien commandés, bien disciplinés, bien nourris ; les Portugais eux-mêmes, qu’on est trop disposé à oublier, instruits par des officiers anglais, se conduisirent plus d’une fois sur les champs de bataille avec résolution et fermeté. En résumé, sans ces alliés, sans les fautes politiques de Napoléon surtout, et la diversion opérée sur l’Elbe et le Rhin par la grande coalition qui amena la chute de l’empire, jamais les défenseurs indigènes de l’ancienne dynastie n’auraient suffi à la rétablir, et Pepe Botellas, Joseph la Bouteille, comme on l’appelait par dérision, quoiqu’il ne bût jamais de vin, eût été, en dépit de toute opposition, assis sur le trône d’Espagne d’une façon aussi solide, aussi durable, qu’autrefois le petit-fils de Louis XIV, Philippe V de Bourbon, un autre roi intrus.

M. Perez Galdós n’a pas jugé à propos d’insister là-dessus et de rappeler des circonstances qu’il connaissait fort bien, mais qui pouvaient gêner sa plume : il usait de son droit. On comprendrait même qu’il eût à dessein, exagéré l’odieux de notre rôle et la honte de notre insuccès, s’il y avait la moindre utilité à exaspérer contre nous le sentiment national des Espagnols ; mais est-ce bien le cas aujourd’hui ? Quel sujet de défiance avons-nous donc fourni à ces ombrageux voisins ? L’Espagne a-t-elle quelque chose à craindre de nous ? Beaucoup moins certainement que nous n’avions nous-mêmes à craindre de l’Allemagne, il y a tantôt dix ans, alors que Erckmann-Chatrian faisaient paraître chez nous leurs idylles naïvement philanthropiques, avec quel succès, on ne l’a pas oublié. Le patriotisme est une belle chose ; encore faut-il ne partir en guerre qu’à bon escient, et n’aller pas, comme don Quichotte, livrer bataille aux moulins à vent. Que les Espagnols veuillent bien s’apaiser ; cette haine qu’ils nous portent, beaucoup de nous l’ignorent, en tout cas nous ne la leur rendons pas ; les circonstances politiques aidant, nous ne demandons pas mieux que de vivre avec eux en parfait accord. D’ailleurs, si Napoléon, autrefois a envahi perfidement leur pays, n’avons-nous pas depuis loyalement travaillé à réparer nos torts ? Sans parler de leurs chemins de fer, en grande partie construits à nos frais, sans parler de leur commerce et de leur industrie, développés avec l’aide et l’argent de la France, dans la dernière guerre carliste, n’ont-ils pas reçu de nous, bien qu’ils en disent, plus d’une preuve de bonne amitié ? N’avons-nous pas favorisé leurs achats d’armes et de munitions, permis sur notre territoire le passage de leurs canons, fermé coûteusement par un large cordon de troupes la frontière aux rebelles ? Hier encore leurs blessés de Peña-Plata n’étaient-ils pas recueillis, logés, soignés par les populations françaises ? Quelle raison les Espagnols auraient-ils de voir toujours en nous des ennemis ?

Ces réserves une fois admises, il ne nous en coûte pas de reconnaître