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chez M. Perez Galdós de grandes et solides qualités. S’il a pu plaire à tous en Espagne, et même aux gens de goût, ce n’est pas seulement, on le comprend, parce qu’il flattait l’orgueil national, chose toujours assez facile, — c’est aussi que son œuvre répondait à une curiosité ou, pour mieux dire, à un besoin de l’esprit public. Dans ces quinze dernières années, on s’est fort occupé à Madrid de l’art espagnol, de son caractère et de ses tendances au commencement de ce siècle, Goya a fait école et les peintres modernes, à l’imitation du maître, s’attachent à traiter des scènes de genre avec les curieux costumes du temps ; n’est-ce pas ainsi que faisait le malheureux et regretté Fortuny ? D’autre part, les meubles anciens, les tentures, les porcelaines de la fabrique de Retiro, fondée par Charles III dans son palais, vases, pendules ou figurines, sont de plus en plus recherchés. Indépendamment des faits de guerre et des événemens purement politiques, la période historique qui s’étend du ministère de Godoy à la mort de Ferdinand VII, a pour les Espagnols un intérêt tout particulier. C’est alors en effet qu’a commencé chez eux, dans les habitudes et dans les idées, cette transformation radicale qui se poursuit encore aujourd’hui ; les mœurs nouvelles, venues de l’étranger, se heurtaient aux mœurs du passé toujours subsistantes, et formaient avec elles le plus singulier contraste. M. Perez Galdós, pour sa part, a fait une étude toute spéciale des classes diverses de la société espagnole à cette époque, il en connaît à fond le langage, les coutumes et les préjugés. Ces courtisans dorés, ces moines ventrus, ces majas ou grisettes élégantes que les peintres font revivre dans leurs tableaux, il leur donne la parole et le mouvement ; tel de ses personnages semble détaché d’une saynète de Ramon de la Cruz ou, une comédie de Moratin ; beaucoup d’ailleurs sont historiques. Aussi son œuvre, trop invraisemblable comme intrigue, est-elle exacte dans le détail. Par la même raison, les principaux acteurs du drame nous plaisent beaucoup moins que les figures secondaires et tout épisodiques. L’amoureux, avons-nous dit, n’intéresse qu’à demi malgré ses prouesses ; on sent trop, quand il agit, l’intervention omnipotente de l’auteur. Inès, l’ingénue, l’enfant du mystère, est un caractère effacé, indécis ; à tout instant, on nous parle de la grâce, de l’esprit, de la distinction qu’elle a ; par malheur, il n’y paraît pas assez, et nous sommes forcés d’en croire sur parole ses bons amis. Santorcaz, le père prodigue, sortie de traître de mélodrame, est tout simplement odieux. La comtesse vaut mieux, quoique bien peu sympathiques, mais comme sont supérieurs de tout point les personnages qu’on voit se succéder et disparaître au fil du récit : Marcial, le vieux marin, Pacorro Chinitas, le remouleur, le marquis diplomate, don Célestin, le bon prêtre, Mosen Anton, le guerillero, et tant d’autres ! Tous sont frappans de vie et de vérité, et chaque scène où ils jouent leur rôle est comme un délicieux