Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/951

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

départ du roi Joseph, les Français, comme bien on pense, ne sont point ménagés ; les événemens de 1823 et l’expédition du duc d’Angoulême fourniront aussi sans doute une ample matière aux allégations désobligeantes de l’auteur : les Cent mille fils de saint Louis ! ce titre seul est gros de promesses. Bref, autant qu’on en peut juger dès maintenant, la suite de l’ouvrage répondra au commencement avec tout ce que cette façon de dire comporte à la fois d’élogieux et de restrictif. Ce sont là, nous le savons, des appréciations qui pourront paraître un peu bien sévères, et notre voix risque de détonner désagréablement aux oreilles intéressées. Nulle part plus qu’en Espagne on n’abuse de l’encensoir ; la critique est là-bas un fraternel échange de complaisances et de complimens : encore les adjectifs les plus flatteurs ne s’emploient-ils jamais qu’au superlatif : tout est très beau, très excellent, très sublime. Dire simplement d’un livre qu’il est bon par endroits, d’un auteur qu’il est estimable, semblerait presque de la malveillance ; quant aux taches de style ou de composition, personne ne les veut voir, du moins personne ne les signale ; on craindrait trop d’offenser un confrère ; de là, chez les écrivains et les meilleurs une propension toute naturelle à la négligence, au laisser-aller. Comment serait-on sévère pour soi-même quand on est certain, quoi qu’on fasse, d’être toujours applaudi ? Chacun berce les autres pour être bercé à son tour, et l’on s’endort de compagnie dans ce sybaritisme de l’amitié où pas une feuille de rose ne fait un pli.

Que M. Perez Galdós se défie de ses admirateurs. Au lieu de s’égarer dans d’interminables intrigues, compliquées à plaisir, qu’il revienne bien vite à des sujets mieux définis, plus restreints, où il pourra plus à l’aise donner du soin aux détails et mettre en relief ses qualités incontestables d’observateur et d’écrivain. Quand son antipathie contre la France ne l’aveugle pas, il voit d’habitude juste et clair et ose dire à ses compatriotes des vérités assez dures. C’est là un champ fécond à exploiter. Plutôt que d’apprendre aux Espagnols à haïr leurs voisins, qu’il leur apprenne d’abord à s’aimer entre eux. Qu’il leur signale clairement les défauts dont ils sont atteints, un peu à tous les degrés de l’échelle : la morgue, la vanité, l’ignorance, le manque de sens pratique, qu’il leur fasse toucher au doigt les nombreuses causes qui ont retardé jusqu’ici les progrès de l’Espagne libérale : l’empleomania, la manie des emplois, le dédain de l’économie, le mépris de la loi, l’habitude des pronunciamientos, le besoin d’intrigues et de complots ; alors il aura fait une œuvre vraiment utile et patriotique, et nous ne lui marchanderons pas les éloges que trop de raisons nous commandent de ne lui accorder qu’avec réserve aujourd’hui.


L. LOUIS-LANDE.