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commune bordelaise et de la Guyenne du XIIIe au XVe siècle. Le livre des Bouillons, ainsi appelé des ornemens de cuivre apposés sur chacun des plats en bois qui forment, avec un dos en cuir, la reliure de ce registre en vélin, contient une série d’actes authentiques en vieux français, en gascon et en latin, établissant la juridiction du maire et des jurats de la ville, et avec cela beaucoup de chartes émanées des souverains anglais de la province, portant confirmation des privilèges et franchises locales. L’autre volume, le Registre des délibérations de la Jurade de 1414 à 1416, nous montre la commune à l’œuvre, dans la plénitude de sa constitution, avec la puissance de son organisation démocratique et l’espèce de souveraineté qu’elle exerçait sur tout le pays aquitain. Ces deux volumes, rédigés sans doute au milieu du XVe siècle, n’avaient encore été l’objet d’aucun sérieux commentaire ; tout au plus l’abbé Baurein, feudiste de la ville de Bordeaux, avait-il donné vers 1760 une analyse restée inédite.

M. Brissaud, un de nos meilleurs professeurs d’histoire, et qui a laissé précisément dans la cité bordelaise de très honorables souvenirs, a entrepris de demander à de tels documens les lumières qu’ils contiennent sur la condition d’une si vaste province pendant la domination étrangère. L’auteur étudie d’abord l’action des maîtres sur le pays, se réservant d’observer ensuite le mouvement du pays lui-même entre les mains de ces maîtres. Il se rend compte du premier objet en recherchant quels droits les rois d’Angleterre s’étaient réservés sur leur duché de Guyenne, quels différens pouvoirs les y représentaient, quelles étaient les attributions de ces divers agens, et quels leurs rapports légaux avec les habitans de la province. Il serait impossible, à moins de répéter ses définitions toujours claires et précises, d’analyser son tableau du mécanisme administratif de la domination anglaise en Guyenne. Il nous apprend, pièces en main, ce que c’était que le sénéchal de Gascogne, suprême représentant du roi d’Angleterre, puis le connétable de Bordeaux, officier de finance, enfin le chancelier d’Aquitaine ou gardien du grand sceau, chef des officiers de justice : à eux trois, ces hauts dignitaires constituent le pouvoir exécutif ; mais le fait caractéristique, c’est l’imperturbable tolérance pratiquée par le gouvernement étranger à l’égard d’un mouvement communal très actif dans cette province.

Ce sont de très curieuses pages que celles où M. Brissaud montre sur quelles fermes bases, au milieu de l’anarchie féodale qui régnait dans le reste de la France, la bourgeoisie bordelaise était assise, et de quels précieux privilèges, surtout en ce qui regarde le commerce, elle avait su se rendre maîtresse. Tout le travail de M. Brissaud tend à démontrer que l’administration anglaise avait agi en Guyenne dans un sens inverse à la marche qu’observaient dans les autres provinces les