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et spirituellement immorales ? Nous sommes prêts à fêter la vertu, pourvu qu’elle sache la musique.

Quiconque a vu le Courage militaire de M. Dubois n’oubliera pas ce jeune guerrier vêtu à l’antique, coiffé d’un casque où s’épanouit une chimère. Il appuie une main sur son genou, l’autre sur la garde d’une épée dont la pointe pose à terre. Il est dans l’attitude du repos, mais son repos est vigilant et actif ; sentinelle assise, il regarde et il attend. Il est svelte, bien pris dans sa taille, aussi élégant que noble et fier. Son air méditatif, ses jambes croisées et retirées en arrière rappellent l’une des statues les plus célèbres de l’église San-Lorenzo, et l’on a dit : « C’est du Michel-Ange traduit et adouci à notre usage. » Cependant il ne ressemble point par l’expression à Laurent II de Médicis. M. Dubois n’a pas mis dans le regard de son guerrier ce nuage de sombre rêverie dont Michel-Ange enveloppait le front de ses géans, il n’a pas tourmenté son attitude, il n’a pas enfermé dans sa poitrine le grondement d’une éternelle tempête. Ce soldat casqué ne rêve point, il pense. Il n’est ni superbe, ni hautain, ni provocant, ni agressif. Si on attaque ce qui est commis à sa garde, on le verra se lever et combattre jusqu’à la mort, en disant comme le héros de Morat : « Nous ne céderons point devant l’ennemi, tant qu’une goutte de sang coulera dans nos veines. » Sa figure exprime non l’enthousiasme, mais une calme résolution, l’héroïsme tranquille, le sentiment grave et réfléchi du devoir. S’il a croisé et arrangé ses jambes comme Laurent II, il est notre contemporain par sa figure, et le sculpteur aurait pu écrire sur le socle : « Ceci représente le service universel et obligatoire. »

Que Michel-Ange revendique sa part, s’il le veut, dans le Courage militaire de M. Dubois, il n’a rien à prétendre dans sa Charité. Ce chef-d’œuvre n’appartient qu’à celui qui l’a fait, et c’est l’effort suprême de son talent. Une femme au corsage entr’ouvert tient sur ses genoux deux enfans, qu’elle entoure de ses deux mains, lesquelles sont d’une souplesse ou, pour mieux dire, d’une tendresse merveilleuse ; elles sont plus que tendres, elles sont chaudes. L’un des enfans a pris le sein, il paraît avoir un fort bel appétit ; l’autre, déjà repu, dort à poings fermés, et nous ne croyons pas que la sculpture ait jamais produit rien de plus vrai ni de plus charmant que ce poupon gonflé par le lait et par le sommeil. On a dit de ce groupe, dont la grâce est exquise et l’agencement irréprochable : si ce n’est pas du Michel-Ange, c’est du Raphaël. Non, ce n’est pas du Raphaël. Si simple que soit Raphaël, il amplifie ; ses vierges ont de la race, et il y a en elles comme une divinité commencée. La Charité de M. Paul Dubois est une simple mortelle, et cette mortelle est une femme du peuple. Elle a noué un mouchoir autour de