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que d’en féliciter l’auteur ; mais l’affiche ne nous dit point son nom, il se dérobe. Pourquoi cet excès de discrétion ? Écrire un joli ballet n’a jamais compromis personne, on peut savoir comme pas un aligner, discuter un budget et brûler en même temps des plus nobles flammes pour l’art divin de Terpsichore. M. Jules Simon, parlant l’autre jour à l’Académie de M. de Rémusat, énonçait à ce sujet une grande vérité : « Je connais un pays voisin où l’on peut avoir écrit de beaux romans et devenir premier ministre, mais nous avons au théâtre le goût des unités et dans la vie celui des spécialités. » Voltaire disait de Newton : « Je l’admirerais davantage si seulement il avait fait un vaudeville. » M. de Rémusat avait commencé par faire des chansons, et c’est avec toute l’autorité de la raison, que son éloquent panégyriste a déclaré qu’il n’en rougissait pas pour lui. Ne perdons pas de vue la Princesse d’Elide et tant d’autres pièces et ballets où les entrées du roi et de la cour tenaient une si large place, et souvenons-nous que depuis Louis XIV le foyer de la danse fut toujours bien hanté.

Quelle piquante étude écrirait un homme d’esprit à propos de ce genre de littérature, et combien il serait intéressant de comparer à ce qui plaît de nos jours le ballet héroïque et pompeux du XVIIe siècle, ce ballet-Scudéry, si complètement en harmonie avec les escaliers, les terrasse, et les eaux de Versailles, avec ce monde de précieuses solennelles et de grands seigneurs emperruqués ! « La vie est un songe, » disait Calderon, et c’est justement là ce qui nous charme, nous, dans ce spectacle. Il semble que nous échappions par lui au train prosaïque de l’existence ; un ballet pour nous est un rêve. Nulle voix autre que celle de la symphonie ne vous distrait, et, plus l’action touche au surnaturel et flotte indécise et vague aux régions de la fantaisie pure, plus elle a de chance de réussir. À ce compte, la musique de M. Léo Delibes me paraît pécher par trop de zèle et d’éclat, je la voudrais plus dans la demi-teinte. Les musiciens d’aujourd’hui ont la rage d’écrire à tout sujet des partitions ; une cantate, un vaudeville, tout leur devient prétexte à grand opéra, et, quand ils composent un ballet, leur musique, au lieu d’être là pour soutenir la pantomime et servir d’accompagnement à la danse, prend tout de suite les devans et s’empresse de vous démontrer que la danse, loin de régler le ton, n’est au contraire que sa suivante. Cette musique de Sylvia ne désarme jamais, ses élégances, ses curiosités, ses préciosités, ne vous laissent pas respirer. C’est un éblouissement continuel, et vous êtes tenté à chaque instant de vous écrier : Au diable ces danseuses et ce ballet, qui m’empêchent de goûter tant de jolies choses !

Nos pères sur ce point étaient gens fort sensés,
Qui disaient qu’un orchestre en fait toujours assez
Quand la capacité de son esprit se hausse


à servir d’éloquent et fidèle accompagnateur à l’action qui se joue de