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l’autre côté de la rampe. Hérold, Halévy, Auber, Adam, lorsqu’ils écrivaient un ballet, s’y prenaient d’une main plus facile ; entraînés par la situation, s’oubliant eux-mêmes au milieu de ses courans rapides, ils ne se gênaient guère pour emprunter aux riches, et vous passiez une soirée délicieuse à voir se succéder devant vos yeux des tableaux auxquels Mozart, Beethoven, Rossini, Weber, prêtaient leurs couleurs rayonnantes. Vous n’aviez alors qu’à vous laisser faire, tandis que maintenant le plaisir dont vous jouissez ne va plus sans une certaine contention des facultés de l’intelligence ; disons mieux, ce plaisir a complètement changé de nature, et vous avez à sa place une sorte d’intérêt esthétique qui, s’il n’est point sans charmes, n’est pas non plus sans fatigue. Deux spectacles à la fois vous sollicitent : la pièce et la symphonie ; il vous plairait assurément de suivre la Sangalli dans ses gracieux balancemens ; mais voici une valse lente en mi-bémol, qui se met en quatre pour vous distraire avec son maniérisme vaporeux et ses petits airs à la Chopin. Plus tard, au deuxième acte, la scène entre Orion et Sylvia captiverait votre attention, vous aimeriez à vous abandonner aux séductions de l’adorable nymphe ; y pensez-vous ? Et le cor anglais, et cette phrase des violoncelles, et ces pizziccati d’alto v aux temps faibles, tous ces timbres, toutes les délicatesses d’instrumentation, faudra-t-il qu’un orchestre s’évertue en pure perte à minauder si galamment ? Bref le compositeur, au lieu de s’adresser uniquement au drame qui se joue, ne se préoccupe que de sa musique et de ses effets, il officie pour son propre compte, n’ayant au fond qu’une idée en tête, séparer sa cause de celle du sujet, écrire une partition qui survive à la circonstance et se disant : Ceci tuera cela.



ESSAIS ET NOTICES.

La Charité à Paris, par M. C. J. Lecour. Paris 1876, Asselin.


Voici un livre consolant, un livre qu’il faut lire, lorsqu’on a eu les yeux ou l’imagination attristés par le spectacle ou le récit de quelques-unes de ces misères dont le contraste avec l’éclat de notre civilisation est si poignant. Ce livre a pour auteur M. J. Lecour, chef de la première division à la préfecture de police, un des principaux directeurs de cette grande administration qui fait tant de bien et prévient tant de mal. La pensée qui a inspiré M. Lecour est une pensée patriotique dont il n’essaie pas de se défendre ; il a éprouvé quelque jalousie à entendre vanter sans cesse l’inépuisable charité des Anglais, la vigueur de leur initiative, les merveilles de leur organisation, et il a voulu rechercher si de notre côté nous n’étions pas en état de soutenir avec honneur la comparaison.