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une situation menacée, contestée, assaillie de toutes parts. Et cependant tout s’était arrangé, un peu par sa faute, de façon à lui donner ce rôle de provocation qu’on voulait lui laisser, qui n’était pas sans conséquence pour elle, qui désintéressait l’Europe, refroidissait l’Angleterre et dégageait le Piémont en lui assurant, comme on l’écrivait aussitôt de Paris, « l’appui le plus énergique » de la France. De ce long et laborieux imbroglio diplomatique de plus de trois mois, il ne restait qu’un défi de guerre lancé avec précipitation, relevé avec une impatience fiévreuse et ouvrant la carrière aux événemens, à l’Italie, à l’homme hardi qui avait tout fait depuis dix ans, qui était allé en Crimée et à Plombières pour préparer cette heure décisive.


III

Lorsque, dès le matin du 30 avril, les premières têtes de colonnes françaises, descendues des Alpes, débouchaient sur la place du Château, à Turin, au milieu d’une population frémissante, Cavour se trouvait au balcon du ministère des affaires étrangères avec quelques personnes, des Italiens, des Français, et même le ministre d’Angleterre sir James Hudson ; il avait certes le droit de voir dans cet émouvant spectacle sa politique en action, et peu de jours après Napoléon III, en débarquant à Gênes, ne faisait qu’exprimer la vérité la plus évidente lorsqu’il lui disait : « Vous devez être content, vos plans se réalisent. »

La guerre, sous ce rapport, devenait sans doute un soulagement pour cet habile homme ; elle le délivrait des incertitudes en faisant de son rêve de dix ans une réalité vivante et saisissante. La guerre n’était pas naturellement pour lui le repos, surtout à ce premier moment où Turin pouvait voir paraître l’ennemi, où les Autrichiens, avec un peu d’audace, pouvaient déjouer toutes les combinaisons de leurs adversaires avant la jonction des forces du Piémont et de la France. Un instant en effet tout était à craindre, si les Autrichiens, qui avaient encore la supériorité du nombre, qui avaient déjà passé la frontière, savaient profiter de la circonstance en marchant résolument sur Turin, si après avoir commis la faute d’un coup de tête diplomatique ils ne commettaient pas la faute nouvelle et bien plus étrange d’hésiter dans l’action militaire. A quoi tint que la guerre ne commençât pas par un contre-temps désastreux pour la France et le Piémont ? Peut-être uniquement à une inspiration heureuse du maréchal Canrobert, qui dès son arrivée, le 29 avril, prenait sur lui de jeter en avant, à Casale, les premières troupes françaises qu’il avait sous la main, de façon à tromper et à intimider les Autrichiens. A tout événement, Cavour se tenait prêt,