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ne reculant pas plus devant la résolution de défendre Turin à outrance que devant la cruelle nécessité d’inonder la Lomelline pour arrêter l’ennemi. Au milieu des émotions nouvelles de cette guerre qu’il avait appelée, dont il affrontait les chances et les épreuves d’un cœur intrépide, il avait certes de quoi occuper et enflammer son activité.

Demeuré seul à Turin pendant que le roi et le général de La Marmora allaient au camp, réunissant à la présidence du conseille ministère des affaires étrangères, le ministère de l’intérieur, le ministère de la guerre, le ministère de la marine, il était tout et il suffisait à tout. Il ne vivait plus que dans le feu de ce travail dévorant. Il avait fait de ses bureaux un autre champ de bataille qu’il ne quittait ni nuit ni jour, où il combattait à sa manière, ayant à faire face à la fois aux transports militaires, aux approvisionnemens, aux demandes d’instructions qui lui arrivaient de tous les côtés, à la correspondance diplomatique, aux rapports avec l’armée française. Rien ne l’étonnait, il avait réponse à tout : témoin ce jour du mois de mai où il trouvait le moyen de résoudre en vingt-quatre heures le problème de nourrir notre armée à bout de ressources. Par des arrangemens particuliers, le gouvernement piémontais devait pourvoir à tous les besoins des troupes françaises, jusqu’à une date déterminée. Cette date était arrivée, et l’administration militaire française se trouvait dans le plus extrême embarras pour le lendemain. L’empereur, déjà campé à Alexandrie et surpris par cette désagréable nouvelle, ne voyait rien de mieux que d’expédier aussitôt à Turin M. Nigra, qu’il avait auprès de lui. Cavour, après s’être un peu fâché, ne se hâtait pas moins de prendre ses mesures. Il mettait en mouvement les syndics de toutes les communes à portée de la ligne ferrée ; il leur donnait l’ordre de réquisitionner les farines qu’ils trouveraient, d’allumer tous les fours, de préparer sur-le-champ le plus de pain qu’ils pourraient, puis de le porter sans perdre un instant au chemin de fer, — et le lendemain tout un approvisionnement dépassant ce qu’on avait demandé arrivait à Alexandrie ! Mais ce n’était là qu’un des mille détails matériels de cette improvisation permanente appliquée aux affaires administratives et militaires.

Le point le plus grave était dans la marche, dans la direction et les conséquences politiques de cette guerre, qui s’ouvrait par des succès, qui en quelques semaines et par des étapes victorieuses, — Montebello, Palestro, Magenta, Melegnano, — allait porter les alliés, français et sardes, jusque sur le Mincio. Aux premiers instans, il n’est pas douteux que les engagemens négociés par Cavour avec Napoléon III restaient entiers comme le programme de la guerre. L’empereur, avant de quitter Paris, avait dit lui-même dans une