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ma modestie. Je n’ai plus rien à souhaiter sur la terre, aujourd’hui que Mme Tussaud est morte, dans le panthéon de laquelle j’espérais jadis trouver une place. »

Les années qui suivirent la publication des premiers volumes de l’Histoire d’Angleterre furent sans doute les plus heureuses dans ce que M. Trevelyan appelle le « brillant et joyeux pèlerinage de Macaulay à travers le monde. » Le journal qu’il tenait à cette époque porte à chaque page la trace de son contentement. Tout lui souriait, et il jouissait de l’indépendance la plus complète. Il n’avait pas pris avec l’âge le goût du monde, mais il aimait à réunir ses amis autour de sa table. La mode alors était aux déjeuners intimes, et il préférait à tous les plaisirs celui de partager avec d’anciens condisciples une grillade de saumon. On le voyait aussi régulièrement assister aux dîners de ce club célèbre fondé en 1764 par Reynolds et le docteur Johnson, et qui avait compté parmi ses membres les plus grands causeurs du siècle. C’était là que, les mains croisées sur la pomme de sa canne, fronçant ses grands sourcils si le sujet demandait un effort de méditation, ou laissant deviner au sourire qui éclairait son visage l’approche d’un mot plaisant, il tenait ses auditeurs enchaînés à sa parole sonore et pittoresque. Il ne perdait rien à être vu de plus près encore, par exemple dans son rôle d’oncle, qu’il prenait fort à cœur. Il pouvait passer des journées entières à jouer avec les enfans de sa sœur. Mieux que personne il s’entendait à donner aux conseils les plus sages les formes les plus littéraires et les plus comiques à la fois, sans craindre de recourir à la fiction. « Les vrais poètes, disait-il, ce sont les enfans. » Est-il nécessaire d’ajouter qu’il était adoré de tous ceux qui l’entouraient et qu’il réussissait sans peine à faire, suivant son expression, « bien accueillir partout le fils de sa mère ? »

En 1852, lord John Russell lui demanda d’entrer dans le cabinet. L’offre ne le tentait nullement, et il refusa. Le repentir de ses anciens électeurs d’Edimbourg le trouva moins insensible, et il consentit à les représenter de nouveau ; mais dans la semaine même où sa victoire électorale devenait un sujet de joie publique, le malaise dont il souffrait depuis quelques mois se chargea de lui montrer par des symptômes plus graves qu’il avait trop présumé de ses forces. Son médecin ne lui cacha pas que les fonctions du cœur ne s’accomplissaient plus régulièrement et qu’il devait se ménager. L’excès du travail avait, semble-t-il, ruiné son vigoureux tempérament, et à cinquante-deux ans, malgré le genre de vie le plus régulier, sans jamais avoir été malade, il se voyait tout à coup vieillir de vingt années. Il sentit dès lors qu’il ne restait plus beaucoup de sable dans son sablier, et cette pensée ne l’effraya pas. Il y fait plusieurs allusions dans son journal, où se lisent, à la date du 31