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décembre 1853, ces simples mots : « Encore un jour de travail et de solitude. Je jouis extrêmement de cette existence d’invalide. En dépit de ma santé, qui décline graduellement, cette année a été heureuse. Ma force me fait défaut, ma vie, je le pense, ne sera plus longue ; mais mes facultés sont nettes, j’ai de chaudes affections et d’abondantes sources de plaisir. » A une autre date, il exprime la même idée avec une mélancolie pleine de résignation : « Je ne suis plus ce que j’étais, et chaque mois mon cœur me le dit de plus en plus clairement. Je me sens abattu, non par l’effet de l’appréhension, car je regarde en avant, du côté de l’inévitable fin, avec une parfaite sérénité, mais, par regret pour ceux que j’aime. J’ai peine parfois à maîtriser mes larmes en pensant qu’il faudra les quitter si tôt. » Jamais sous sa plume les regrets ne se changèrent en plaintes : il était reconnaissant de la grande part de félicité que son lot terrestre avait contenue, et quand il se sut condamné, le courage ne lui manqua pas. Il ne prit que rarement la parole au parlement, il est vrai ; peut-être la prit-il encore plus souvent que ne l’aurait conseillé la prudence, car l’émotion de la lutte et le sentiment de l’admiration respectueuse dont il était l’objet ne pouvaient qu’aggraver son mal. En 1856, par scrupule de conscience, il résolut de renoncer à un mandat politique qu’il ne pouvait plus remplir et remercia de leur bienveillance les électeurs d’Edimbourg. En même temps, pour jouir un peu de la fortune que ses écrits lui avaient faite et dont il dépensait le quart en œuvres charitables, il s’établit dans une maison de Kensington, après l’avoir disposée à sa mode. Tous les honneurs vinrent l’y trouver à la fois avec leur couronnement, la pairie.

La révolte des cipayes faisait alors couler le sang anglais aux Indes, et chaque malle apportait avec elle le deuil de nombreuses familles. Il a lui-même marqué dans son journal comment il reçut la nouvelle de son élévation à la chambre des lords, prenant Dieu à témoin qu’au milieu de sa joie il pensait moins à sa nouvelle couronne de baron qu’aux pauvres femmes qui derrière les murs de Cawnpore ou de Delhi attendaient la plus horrible des morts. C’était la première fois qu’une dignité pareille devenait la récompense du mérite littéraire. Quant à la popularité de son œuvre, elle dépassait ses plus vives espérances. Les éditions succédaient aux éditions, et la seconde partie de l’ouvrage n’avait pas eu moins de succès que la première. Macaulay s’en étonnait lui-même, surtout lorsque son éditeur, le priant d’accepter, en mars ce qui n’était du qu’en décembre, déposait 20,000 livres sterling chez le banquier de l’auteur. « Quelle somme, s’écriait celui-ci, pour une seule édition, et, je puis ! le dire, gagnée en un jour ; mais c’était, il est vrai, le jour de la moisson. » Et il ajoutait plaisamment : « J’ai quelque idée d’aller