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dans l’Europe orientale. Si en Occident l’ère des invasions se ferme de bonne heure, et si les populations connaissent dès lors les bienfaits d’une sécurité relative, cette ère se continue pour la Hongrie et pour l’Autriche jusque dans les temps modernes. Bien des fois on donna l’hospitalité à des familles chrétiennes échappées à la domination barbare des musulmans. Bien des fois après des invasions turques qui laissaient des provinces entières sans chaumières et sans habitans, on fit appel aux colons de bonne volonté, de toute race et de toute secte, aux Flamands, aux Allemands, aux Croates, aux Ruthènes, aux Serbes, aux Bulgares, aux Albanais, aux Roumains, aux Lorrains, aux Catalans… Quelle race n’a pas fourni son contingent à la colonisation moderne de la Hongrie ? Aussi, dans ces cartes ethnographiques où chaque race est figurée par une couleur, la Hongrie ne présente que confusion et qu’enchevêtrement. On dirait qu’un peintre, tenant tous ses pinceaux à la main, les a lancés dans un moment d’humeur sur une toile rebelle !

C’est au VIIe siècle de notre ère que la race croato-serbe, descendant des Carpathes, s’établit en Illyrie, débordant dans le sud de la Pannonie et dans l’ouest de la Mœsie. Bientôt les Serbes recevaient le christianisme de Byzance et adoptaient l’écriture cyrillique, tandis que les Croates, fixés plus à l’ouest, devenaient catholiques latins et, sectateurs de Rome, écrivaient leur langue avec l’alphabet latin. De là cette scission qui a distingué sinon en deux nationalités, du moins en deux peuples, une seule et même race. La différence de religion qui s’est transmise avec les siècles la rend presque irrémédiable. Cette scission a pourtant disparu sur le terrain littéraire. Par suite d’accord entre les écrivains des deux peuples croate et serbe, ils n’ont aujourd’hui qu’une langue littéraire ; mais chacun l’écrit avec son alphabet traditionnel.

Le gros de la nation serbe était installé au sud de la Save et du Danube, et l’on sait qu’elle y fonda un état florissant pendant plusieurs siècles. Pourtant, dans l’ancienne histoire du pays auquel les Hongrois vinrent donner leur nom, on trouve la trace d’établissemens serbes sur la rive gauche du Danube, et bien des siècles avant qu’une contre-émigration ramenât des Serbes en Hongrie, leur race avait pris possession de l’extrémité du triangle formé par la Drave, le Danube et la Save. Ainsi les Serbes avaient précédé les Magyars dans la Pannonie ; mais ceux-ci, qui s’appelaient eux-mêmes Magyars et que les Slaves appelaient Hongrois, finirent par s’étendre dans toute la région qui porte aujourd’hui leur nom ; la Croatie et la Slavonie, états indépendans jusqu’à la fin du XIe siècle, furent à cette époque réunies à la couronne de saint Etienne. Les Serbes de Hongrie n’avaient alors aucune organisation distincte, et ce sont seulement quelques témoignages indirects qui nous font