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canton, en abandonnant le reste, c’est-à-dire les maires des 33,000 communes rurales, à l’élection, et raisonnablement, s’il y avait à choisir, ce serait plutôt le contraire qui devrait être fait. Dans les villes plus ou moins importantes jusqu’au canton, le gouvernement a toujours des agens dont il peut se servir, dans les petites communes il n’a que le maire, et il ne peut logiquement rester étranger à la désignation de ce représentant unique de son autorité. C’était le mérite de cette loi de 1831 dont on a parlé, qu’on a heureusement remise en lumière, d’avoir trouvé la solution la plus naturelle en attribuant au gouvernement la nomination des maires de toutes les communes de France, avec l’obligation de les choisir dans les conseils municipaux. Tout se trouvait ainsi équitablement et libéralement concilié, et ce que M. le ministre de l’intérieur appelle aujourd’hui un progrès n’est peut-être qu’un changement, une expérience de plus lorsqu’il n’y aurait plus trop d’expériences à faire.

C’était bon sous la monarchie, dit-on, l’élection des maires est la conséquence de la république. C’est au contraire avec la république qu’il serait plus que jamais nécessaire de maintenir les prérogatives les plus essentielles de l’autorité souveraine, et M. Bocher a montré dans le plus saisissant langage le danger de ce démembrement progressif de l’état. Aujourd’hui l’élection est partout, pour les chambres comme pour les assemblées de département, comme pour les conseils d’arrondissement. Le chef de l’état lui-même est élu. Ce que le pouvoir gouvernemental a successivement perdu depuis longtemps, le pouvoir électif l’a gagné. Les fonctionnaires ne sont plus couverts de l’immunité de l’article 75 de la constitution de l’an VIII. Les préfets ont vu leur autorité affaiblie, diminuée de toute sorte d’attributions transmises aux conseils généraux ou partagées avec les commissions départementales. De toutes parts, sous toutes les formes, l’action publique est atteinte dans son nerf, dans ses moyens extérieurs. Si ce n’est pas trop, M. Bocher a tout au moins raison de s’écrier : « Croyez-moi, c’est assez ! » La république elle-même est la première intéressée à ne pas se désarmer elle-même, à ne pas laisser amoindrir cette force de cohésion, l’organisation administrative, « la vieille administration française, » dernière garantie, énergique gardienne de l’unité politique du pays.

Elle a été votée cependant, cette loi, elle a été votée comme elle a été présentée par une raison de politique et de circonstances. Peut-être le sénat aurait-il suivi son penchant s’il n’eût pas craint de paraître prolonger ou renouveler un conflit à la veille des vacances, et peut-être le gouvernement lui-même aurait-il mis moins de chaleur à soutenir l’œuvre de la chambre des députés s’il n’avait eu à se relever devant le sénat d’un échec récent. La loi des maires a payé pour l’erreur du vote de l’autre jour sur la collation des grades. Les deux choses se tiennent, et