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De même que la paléontologie révèle des enchaînemens entre les pachydermes à doigts pairs et les ruminans, elle en découvre entre les pachydermes à doigts impairs et les solipèdes. Le cheval a les pattes réduites à un seul doigt, c’est ce qui lui a fait donner le nom de solipède ; ses membres présentent le maximum de la simplicité ; il ne peut craindre ni entorses ni foulures : il réalise le type le plus parfait de l’animal coureur. A voir un fier cheval se cabrer, frapper la terre de son sabot unique et dévorer l’espace, on ne s’imagine pas au premier abord qu’il puisse y avoir des liens de parenté entre lui et les rhinocéros ; cependant les couches tertiaires nous fournissent des passages entre ces types si différens. Considérons les rhinocéros dont les pattes sont les plus larges, ceux qui ont quatre doigts et qu’on appelle acérothérium ; nous remarquons que leur doigt externe est bien plus réduit que les autres. Chez les rhinocéros proprement dite, ce doigt n’est plus représenté que par un os rudimentaire. Chez le palœotherium crassum, les trois doigts du rhinocéros se sont rétrécis et allongés ; ils se sont encore plus rétrécis et allongés chez une espèce voisine, le paléothérium médium. Dans un sous-genre de paléothérium connu sous le nom de paloplothérium, les doigts latéraux se sont de plus en plus amincis ; celui du milieu a pris plus d’importance. Cette importance du doigt du milieu s’accentue dans un genre qui vient d’être l’objet d’un beau mémoire de M. Kowalevsky, l’anchithérium. Chez l’hipparion, les doigts latéraux sont très amincis et si raccourcis qu’ils ne posent plus à terre. Enfin, chez le cheval, il n’y a plus qu’un seul doigt médian ; les doigts latéraux ne sont représentés que par des stylets allongés. On ne peut douter que ces os rudimentaires soient des doigts d’hipparion atrophiés, car on voit quelquefois dans les chevaux le doigt interne redevenir semblable à celui de l’hipparion. Lorsque nous ne considérons que l’époque actuelle, nous avons de la peine à nous expliquer les stylets des pattes de chevaux qui sont sans fonction. Ces organes sans fonction sont incompréhensibles si on n’admet pas la doctrine de l’évolution ; en présence des pièces rudimentaires et inutiles, on est exposé à croire l’harmonie du monde organique en défaut ; mais pour nous transformistes qui regardons les espèces comme de simples modes transitoires, il nous importe peu de ne pas trouver tout réuni dans chaque phase des êtres dont le développement se poursuit à travers les âges géologiques : ce qui est inutile aujourd’hui a été utile hier ou le sera demain. Quand, avant le printemps, nous rencontrons un arbre dont les bourgeons ne s’épanouissent pas encore en un riche feuillage, nous ne nous en étonnons pas, car nous savons que ces bourgeons se développeront plus tard, et lorsque nous voyons se flétrir les pistils et les étamines