Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ses audiences et de sa vue, et il se retira en lançant au pontife des regards menaçans[1].

Après cet éclat si impolitique et si intempestif, fort embarrassé de retourner à ses audiences, il cherchait chaque jour de nouveaux biais et de nouveaux prétextes pour les éviter. On comprendra facilement qu’une telle conduite n’était guère propre à faire accueillir favorablement par le pontife tout ce que le bailli pouvait lui faire insinuer sous main afin de retarder la promotion du coadjuteur. Montreuil profitait de cette brouillerie pour se rendre le plus souvent qu’il pouvait aux audiences, du pape, qui l’accueillait de fort bonne grâce, mais qui ne se rendait pas plus à ses sollicitations en faveur du prince de Conti qu’à ses insinuations contre le coadjuteur. Le bailli, qui était font bien renseigné, prétendait qu’Innocent et ses émissaires ne négligeaient rien pour persuader à l’abbé Charrier que le roi de France et la reine-mère ne désiraient nullement au fond que la promotion du coadjuteur eût lieu. Suivant le bailli, le but secret du pape était d’inspirer ce soupçon au factieux prélat, afin de le pousser à exciter de nouveaux troubles dans Paris. Il va sans dire que l’ambassadeur s’attachait avec le plus grand soin à détourner ce soupçon de l’esprit de l’abbé Charrier. Il ne cessait de lui protester que, s’il avait dit le moindre mot au pontife pour l’engager à retarder la promotion, celui-ci « n’aurait pas eu de plus grande joie » que de divulguer ce secret. Il ajoutait que la meilleure preuve qu’il poursuivait très sincèrement la promotion, c’est que le pape n’avait pu citer à l’abbé Charrier une seule de ses paroles qui « allât au contraire d’une vive et cordiale demande de ce chapeau pour M. le coadjuteur. » — « J’ai néanmoins conseillé à l’abbé Charrier, poursuit l’ambassadeur dans sa lettre à Brienne, de feindre quelque défiance de mon procédé pour faire venir sa sainteté sur le leurre et lui faire ouvrir le sac, promettant même de me faire retirer de cette ambassade pour châtiment de cette perfidie et désobéissance aux ordres de sa majesté, pourvu, que l’on lui mit en main, par témoin ou autre manière, quelque chose qui m’en pût convaincre et m’ôter les moyens de me justifier d’une pareille accusation…. » Par ces protestations et ces sermens, qui, dans la bouche d’un religieux de mœurs austères, ne manquaient pas de poids, l’abbé Charriée, tout fin qu’il était, fut abusé et trompé jusqu’au dernier moment.

Cependant le bailli de Valençay, outre de colère contre le pape, conseillait à la cour de France d’en venin avec lui aux mesures extrêmes. Il voulait que l’on menaçât le pontife du renvoi de son nonce et du rappel de l’ambassadeur de France, du remplacement

  1. Le bailli à Brienne, 27 novembre. Archives des affaires étrang., Rome, t. CXX.