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des troupes romaines du comtat venaissin par des soldats levés dans le pays, et qu’enfin l’on adressât au nonce à Paris une grave et sévère réprimande. La cour de France ne tint aucun compte de ces conseils exagérés, où il entrait bien plus de passion que de sagesse. Le bailli, qui depuis longtemps ne recevait pas une obole de son traitement, demandait à cor et à cri dans toutes ses lettres à être rappelé. Il avait vu, disait-il, quelques lettres du comte de Béthune, grand ami du coadjuteur, adressées à l’abbé Charrier, et dans lesquelles il témoignait désirer avec passion d’être nommé ambassadeur à Rome. « Je serai bien obligé de déguerpir et de lui céder la place, ajoutait le bailli, si l’on continue à ne pas me payer mes appointemens. »

Peu de jours avant le 11 décembre, il avait reçu de Brienne une dépêche de la plus haute importance dans laquelle le ministre lui donnait cette fois les instructions les plus nettes et les plus détaillées sur la conduite qu’il avait à tenir dans l’affaire du coadjuteur. L’ambassadeur répondait a cette dépêche le 11 décembre par une lettre d’un intérêt capital et qui vient donner pleinement raison au cardinal de Retz, lorsqu’il affirme dans ses Mémoires que la cour de France et Mazarin, à propos de l’affaire du chapeau, agirent contre lui avec la plus insigne mauvaise foi.

Le bailli ne doutait pas, d’après sa lettre, que les Espagnols ne fussent très favorables à la promotion du coadjuteur, malgré le déplaisir que pourrait en éprouver M. le prince, parce qu’ils calculaient avec raison qu’une fois maître du chapeau, le prélat n’en aurait que plus de force pour continuer la guerre civile. « Pour le second article (de votre lettre), poursuivait l’ambassadeur, je vous ai déjà mandé, dans mes précédentes, que j’avais très bien compris de quelle sorte le roi voulait que je me comportasse pour hâter ou retarder la promotion. Il suffit de vous assurer que je suis vos ordres très ponctuellement et agis en conformité avec toutes les précautions nécessaires ; ce qui n’est pas une négociation fort aisée et facile, ayant affaire à un pape qui veut et voudra toujours le contraire de ce que désirera le roi. Il est donc nécessaire, pour le service de sa majesté, ainsi que vous m’avertissez, que M. le coadjuteur ne doute point qu’il ne soit servi de moi en ses prétentions avec voiles et rames, et que cependant j’aille procurant une procrastination (un retard) de l’effet de cette grâce accordée audit sieur coadjuteur, jusques à tant qu’il ait donné des témoignages bien solides d’un attachement indissoluble aux intérêts du roi… La pièce est délicate, mais je n’oublierai rien pour servir en la sorte qui m’est ordonnée. » Le bailli ajoutait que le meilleur moyen de retarder la promotion, c’était que la cour de France parût la désirer vivement, et que le moyen infaillible de la précipiter serait qu’elle témoignât