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Et quand on songe que cette épreuve dure depuis plus de trois mois déjà sans que le terme en soit encore fixé, on finit par se demander sérieusement à quoi servent ces délais indéfinis et inexpliqués. On se demande jusqu’à quel point le gouvernement lui-même est intéressé à prolonger cette période ingrate, où l’opinion, livrée aux entreprises des partis, fatiguée de contradictions et de jactances, est réduite à se débattre dans l’incertitude en consultant chaque matin vainement les augures.

Lorsqu’une crise comme celle qui ébranle aujourd’hui la France, qui touche au plus profond de sa vie intérieure, s’est malheureusement déclarée, la sagesse, peut-être même l’habileté, est de ne pas jouer indéfiniment avec le feu, d’aller franchement et sans hésiter à une solution. Le 16 mai a été fait, M. le président de la république est allé jusqu’au bout de son droit, il ne l’a pas dépassé, si l’on veut. La chambre des députés a été dissoute avec le concours du sénat, c’est encore un acte légal. Une situation nouvelle a été créée sous l’inspiration d’une politique qui s’est ouvertement proposé de redresser ou de modifier la direction des affaires de la France en demandant au pays la sanction souveraine de ces graves résolutions du pouvoir exécutif. Soit, tout cela a été fait, la situation existe. Aujourd’hui évidemment il n’y a plus qu’à en finir sans se retrancher dans des temporisations inutiles, le mieux est de se hâter vers le seul dénoûment rationnel et honorable. C’est une nécessité pour la marche régulière des institutions qui restent, pour ainsi dire, en suspens. C’est une nécessité morale, politique, de premier ordre, de ne pas laisser indéfiniment les intérêts en souffrance, les esprits livrés à l’incertitude, le pays placé entre toutes les excitations, les captations et les craintes d’un péril insaisissable. Parlons franchement : le ministère lui-même, à son propre point de vue, pour ses propres chances de succès, était peut-être plus intéressé que tout le monde à se hâter de faire honneur à cette pressante nécessité de la situation qu’il a créée. C’est l’avis de bien des hommes ayant l’expérience de l’administration et du suffrage universel, que le gouvernement aurait eu tout avantage à ne pas retarder les élections, à conduire vivement la crise dont il avait pris la responsabilité, à garder jusqu’au bout devant l’opinion cette autorité que donne si aisément au pouvoir exécutif une initiative vigoureuse et prompte. Il aurait peut-être réussi dans les six premières semaines ! Que peut-il gagner au contraire à se donner toutes les allures d’un pouvoir qui délibère sans cesse et qui tergiverse, à paraître reculer ou à s’agiter sur place après avoir marché si vite, à épuiser les subterfuges et les délais ? C’est un ami de la jeunesse de M. le président du conseil, c’est cet observateur sceptique, X. Doudan, qui, dans une de ces lettres nouvelles qu’on vient de publier ces jours derniers, dit, non sans une certaine ironie : « Le temps bien employé permet de faire bien des fautes. » Le discret ami de M. le duc de Broglie parlait