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milieu des misères et des hontes, et ne tombait qu’en arrivant à Wesel. A peine remis, la paix faite, il reprenait le fusil et entrait dans Paris avec l’armée de Versailles. Il avait assisté aux horribles scènes de la commune. La vie lui devenait lourde. Paris lui pesait. Il songea à ses rêves d’autrefois et résolut de partir.

Les terres inconnues de l’Afrique offraient à l’activité de Compiègne un champ digne de celle-ci. Les Anglais et les Allemands s’épuisaient en expéditions ruineuses. Rivaliser avec des explorateurs subventionnés par des gouvernemens n’était-ce point une œuvre tentante ? Le faire sans aide, sans autre appui que la volonté et la foi, n’était-ce point grandiose ? n’était-ce pas affirmer aux yeux de l’Europe la vitalité de la France ? Compiègne le sentit et proposa à son ami Marche, aussi énergique que lui, d’entreprendre la campagne de l’Ogooué. Ils furent tout de suite d’accord.

Ni l’un ni l’autre n’avait de ressources privées ou publiques pour accomplir cette grande entreprise ; ils s’engagèrent à fournir aux collections zoologiques les produits de leur chasse. Ce fut l’industrie privée qui fut leur nourrice. Un ancien explorateur, naturaliste distingué, M. 1. Bouvier, leur fit les avances d’argent nécessaires.

Victor de Compiègne avait, avec cette intuition qui est la qualité la plus précieuse du voyageur, deviné que l’Ogooué, ce grand fleuve qui vient se jeter dans l’Atlantique entre l’équateur et le premier degré de latitude sud, était la meilleure voie ouverte à l’exploration pour pénétrer au centre de l’Afrique. Il voulait remonter le fleuve inconnu le plus loin possible, jusqu’au point où un obstacle invincible le rejetterait en arrière. On ne pouvait choisir un meilleur théâtre d’opération.

Compiègne et Marche quittaient la France en 1872 ; ils allaient tout droit au Gabon, dont Compiègne voulait faire, avec raison, la base d’opération de toute sa campagne. La petite colonie offrait à nos explorateurs de précieuses ressources. A l’abri de l’influence française, on pouvait y recruter paisiblement le personnel de la caravane ; on était sûr d’y trouver des moyens de transport suffisans pour pénétrer dans l’intérieur, — et ce qui était le plus important, — des guides au courant de la puissance française et par cela même fidèles. On allait enfin pouvoir se familiariser avec les nègres, se mettre au courant de leurs usages, de leurs croyances, de leurs langues.

Pendant de longs mois, Compiègne et Marche parcouraient dans tous les sens les régions habitées par les Gabonais et les Pahouins, recueillant sur les mœurs et les superstitions indigènes les détails les plus curieux, enrichissant leurs collections des animaux les plus rares. Ils n’avaient point avec les nègres de difficultés sérieuses. Les rois africains, ces mannequins grotesques, accueillaient avec enthousiasme les deux blancs toujours munis de bouteilles de rhum et d’habits galonnés qu’ils distribuaient généreusement aux majestés noires et à leurs courtisans