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pouvoir causer et se communiquer leurs impressions, qui étaient loin d’être rassurantes. L’archevêque fut très entouré, tous les prêtres vinrent lui baiser la main et lui demander sa bénédiction. Il ne quittait pas M. Bonjean, auquel il offrait le bras. Le président était souffrant et très affaibli ; il avait voulu, pendant le siège, malgré son âge et ses fonctions, faire acte de soldat ; le sac avait été trop pesant pour ses frêles épaules, il en était résulté une infirmité pénible que son séjour en prison ne lui permettait pas de combattre par des moyens artificiels. Il marchait donc « courbé en deux, » comme l’on dit, et trouvait sur le bras de Mgr Darboy un appui dont il avait besoin. M. Babut alla saluer le président, qui le présenta à l’archevêque. « Qu’augurez-vous de notre transfèrement ? lui demanda celui-ci. — Rien de bon, monseigneur, » répondit M. Rabut.

Les jésuites, fort calmes, gardant sur les lèvres leur immuable sourire, ayant du fond du cœur renoncé à tout, même à la vie, disant à Dieu : Non recuso laborem, se promenaient et devisaient entre eux, ou écoutaient M. de Perny, un missionnaire qui, revenant de Chine, pouvait leur expliquer que sous toute latitude l’homme rendu à lui-même et soustrait à la loi redevient fatalement une bête sauvage. Le père Allard, l’aumônier des ambulances, portait encore au bras gauche la croix de Genève, ostentation de bon aloi qui forçait les gens de la commune à violer toutes les conventions, même celle qui sur les champs de bataille protège les infirmiers. L’abbé Deguerry, actif et rassuré par la bonne compagnie qu’il retrouvait enfin, causait avec verve et essayait de faire partager à ses compagnons l’espérance dont il était animé. « Quel mal leur avons-nous fait ? répétait-il à toute objection ; quel intérêt auraient-ils à nous en faire ? » Puis il accusait, en plaisantant, les lits de la Roquette d’être trop courts pour sa longue taille.

Deux otages qui ne s’étaient point vus depuis les jours de l’école se reconnurent. L’un, ses études terminées, obéissant à une irrésistible vocation, avait suivi la voie religieuse ; il était entré dans les ordres et appartenait à la compagnie de Jésus ; l’autre avait exercé des fonctions civiles, il s’était beaucoup plus occupé de philosophie que de religion, avait regardé de près dans les théories socialistes, et, s’il n’avait point partagé les doctrines de Blanqui, il les avait côtoyées et peut-être même traversées. Le hasard des révolutions remettait face à face, dans le préau d’une geôle, ces deux camarades de la vingtième année ; ils s’élancèrent l’un vers l’autre : « C’est toi ! — C’est toi ! » Ils s’embrassèrent et furent émus. « Que nous reste-t-il à faire ? dit le laïque. — À toi, mon ami, répondit le prêtre, il te reste à te confesser. » Les deux otages s’éloignèrent bois de la portée des voix et eurent ensemble une conversation