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cette confession fasse foi. Les magistrats, en introduisant dans toutes les causes criminelles l’emploi de la question, subissaient l’influence de la législation romaine, sous les empereurs, dont ils poursuivaient l’application de plus en plus étendue par opposition au droit canonique que l’église avait auparavant fait prévaloir. Dans leur doctrine, la torture n’était point une peine, c’était seulement un mode de procédure plus énergique ; quand les deux procédures, la criminelle et la civile, se confondaient encore, on avait été jusqu’à l’employer pour l’instruction des procès purement civils. Tel était en effet le principe du droit romain : la torture ne doit pas être une peine, disait l’empereur Hadrien, que révoltaient les raffinemens de cruauté qu’on y apportait déjà de son temps, c’est uniquement un moyen d’instruction. Ce déplorable moyen fut trouvé si efficace pour faire parler le prévenu que l’usage s’en généralisa, au moins à partir du XIVe siècle, et qu’on le rencontre dans toutes les législations criminelles de l’Europe. Il n’y a d’exception à faire que pour l’Angleterre ; au XVe et au XVIe siècle, la volonté royale ordonna quelquefois sans doute en ce pays qu’on recourût à la torture, mais la loi n’en consacra jamais l’emploi, et les légistes anglais la repoussèrent toujours. Si l’usage de la question était général, le mode suivant lequel elle était administrée variait beaucoup. On trouve un grand nombre de procédés décrits dans les ouvrages spéciaux de Paul Grillandus et d’Augeras. Chaque contrée, presque chaque tribunal avait le sien ; par exemple, le parlement de Paris procédait autrement que le parlement de Bretagne et que celui de Toulouse ; mais il y avait des genres de tortures plus habituels que d’autres. Dans le ressort du parlement de Bretagne on pratiquait la question par le feu, fort employée au XVe siècle, et dans laquelle on approchait graduellement d’un brasier les jambes nues du patient attaché sur une chaise de fer ; à Autun, on versait de l’huile bouillante sur les pieds ; au parlement de Besançon, on recourait à l’estrapade : ce supplice consistait à hisser le patient, les mains liées, au haut du poteau et à le laisser retomber à terre avec une telle force qu’on risquait de lui briser les jambes. L’estrapade fut toutefois généralement abandonnée comme mode de torture au XVIIe siècle, mais elle demeura jusqu’à la révolution française un genre de punition infligée dans l’armée. Plusieurs tribunaux faisaient serrer dans un étau les pouces de l’homme condamné à la question. Dans le ressort du parlement de Paris, on employa concurremment la question à l’eau, consistant à verser dans le gosier du patient, par un cornet ou entonnoir, un certain nombre de pots d’eau, et la question aux brodequins, qui se donnait en plaçant le patient sur un siège de bois, les bras attachés à deux grosses boucles de fer scellées au mur et lui