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serrant fortement les jambes dans des espèces de boîtes dont on rétrécissait graduellement la capacité en y faisant entrer des coins à coups de maillet. Pour des criminels jugés indignes de pitié, pour ceux surtout qui étaient accusés de régicide, on était autorisé à recourir à des tortures plus atroces encore. En Italie, on usait d’un autre procédé : on empêchait le patient de dormir ; en Allemagne, on le soumettait au tourment de la soif ; en Suède, pour les accusations de grands crimes, on plongeait le prévenu dans un tonneau plein de matières fécales !

On pouvait sans doute apporter plus ou moins de ménagemens dans les tourmens infligés, et les progrès de l’humanité en cette partie de la procédure consistèrent à ne pas pousser jusqu’au bout la cruelle épreuve, à ne pas se poser la solution du problème qu’au XVIe siècle le bourreau semblait avoir à résoudre, à savoir faire souffrir le plus possible le patient sans donner la mort. Près du malheureux fut placé un médecin qui lui tâtait le pouls, l’examinait et arrêtait les exécuteurs quand il croyait que l’épreuve compromettait la vie. Les procès-verbaux de torture du parlement de Paris que j’ai consultés me donnent à penser qu’au moins, au siècle dernier, les médecins auxquels incombait cette triste mission n’attendaient pas toujours que la vie de l’accusé fût menacée pour mettre fin au supplice. Tout d’ailleurs était livré à l’arbitraire des juges qui, d’après ce que note déjà Boutillier dans sa Somme rurale, pouvaient faire appliquer le prévenu jusqu’à cinq fois à la torture, s’ils l’estimaient nécessaire. L’arrêt qui prononçait le recours à la question dépendait purement de la cour, qui ne la devait toutefois ordonner qu’en présence d’indices très graves de culpabilité et à la majorité d’un certain nombre de voix ; mais, quant aux circonstances où elle était appliquée, les usages varièrent suivant les temps et les lieux. Nos anciennes ordonnances permettaient d’appliquer l’accusé à la question autant de fois qu’on découvrait de nouveaux indices ; on en usait de même en Allemagne. En diverses villes de Flandres, au XVe siècle, quand il s’élevait contre l’accusé plusieurs témoignages, on renouvelait indéfiniment la question jusqu’à ce que l’aveu fût obtenu.

Nos tribunaux distinguèrent en France dans la pratique deux genres de question, la question ordinaire et la question extraordinaire, où l’on renchérissait sur les tourmens qui avaient été infligés dans l’ordinaire ; mais la législation ne précisa guère les cas où les juges devaient s’arrêter à la question ordinaire et ceux où ils pouvaient passer à l’emploi de l’extraordinaire, laquelle le plus habituellement était constituée non pas par un mode de tourmens nouveau, mais par la réitération de celui auquel on avait eu recours, réitération qui devenait en réalité un supplice nouveau, à raison de son intensité. Ainsi dans la question par l’eau on doublait le nombre de pintes