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à charge de service militaire, et c’était alors ce que l’on appelait un fief, ou bien à charge de culture et moyennant une redevance annuelle, et c’est ce qu’on appelait une censive. Les fiefs et les censives constituaient encore les terres nobles et les terres roturières. Les premières étaient occupées par des vassaux ; les secondes par des censitaires, qui n’étaient guère autre chose que des fermiers. Cette troisième classe de droits, ainsi définie, constituait vraiment une propriété, et jamais l’assemblée constituante n’a eu la pensée d’y porter atteinte. Ce sont ces droits qu’elle avait déclarés rachetables dans la fameuse nuit du 4 août, et si réellement ils ont disparu dans la tourmente sans avoir été rachetés, ce n’est pas la faute de la constituante, mais des assemblées qui ont suivi. Cependant, même dans les droits féodaux proprement dits, et déclarés rachetables, il y avait encore une distinction à faire entre les droits utiles et les droits honorifiques, les premiers consistant en argent, les autres en actes de dépendance et de subordination. La constituante, en maintenant les premiers à titre de rachetables, crut devoir supprimer les seconds sans rachat, car d’une part ils ne représentaient pas une propriété, de l’autre ils étaient contraires au principe de l’égalité des citoyens que l’on voulait établir. C’est ainsi qu’était abolie la foi-hommage, car là où il n’y a plus de seigneur il n’y a plus d’hommage. De cette nature étaient encore certains droits frivoles, tels que l’obligation, dans certains pays, de danser devant le seigneur, de faire un certain nombre de sauts certains jours de l’année, de porter le dais aux processions etc. : c’était là la comédie du régime féodal, et nous n’avons pas à rechercher si le fameux droit du seigneur en faisait partie ; Merlin n’en parle pas. Mais il y avait des droits d’une bien autre importance, qui n’étaient pas des droits pécuniaires, et qui tenaient à l’essence morale de la seigneurie, droits dont l’abolition constituait toute une révolution sociale. Tels étaient les droits d’aînesse et de masculinité, suivant lesquels le fief devait passer de mâle en mâle par droit de primogéniture. Ces deux droits, qui n’avaient pas leur origine dans le droit ancien, tenaient essentiellement au régime féodal. Le fief, garant du service militaire pour le seigneur, d’une part ne devait pas être partagé, ni de l’autre tomber en quenouille. Il était naturel qu’il passât aux aînés et aux mâles. Or, du moment que le régime féodal était aboli, que le fief n’existait plus, que la distinction des terres nobles et des terres roturières disparaissait, ces deux principes n’avaient plus de raison d’être. Toutes les terres étant égales, le droit successoral devait être le même pour toutes. On voit comment l’abolition du régime féodal dut conduire la constituante à toucher aux lois de succession. L’abolition de ces deux droits était si bien une