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roi et aux ministres qui sont dans le gouvernement présent, et l’abbé Charrier, son envoyé, me peut servir de bon témoin. Je ne crois pas que ce cardinal veuille venir à la dispute. Il est trop homme d’honneur. Cela arrivant, il y demeurerait avec honte et rougeur, et, s’il en était besoin, vous pouvez hardiment donner parole que votre substitut, l’ambassadeur, a de quoi soutenir cette thèse. »

Cependant Retz affirmait à tout venant et proclamait bien haut, ainsi que tous ses amis, entre autres Caumartin, qu’il ne devait le chapeau qu’au seul duc d’Orléans et non à la cour[1]. Afin de contenir le nouveau cardinal dans les bornes du devoir, le jeune roi, en lui adressant une lettre de félicitation, lui rappela ; que c’était à lui seul qu’il devait sa nouvelle dignité. «… Je ne pouvais favoriser de ma protection, lui disait-il, un sujet qui fût plus capable et plus digne de la mériter, et je suis assuré que vous embrasserez avec chaleur ce qui est de mon service et de ma satisfaction en tout ce que vous pourrez. Dans ces assurances et y prenant confiance, je vous dirai que les occasions sont telles que vous me pourrez donner des marques de votre fidélité et de votre affection, et je m’assure que vous me fournirez des preuves de la gratitude que vous devez avoir pour moi[2]. »

Le comte de Brienne, de son côté, tout en félicitant le prélat de sa promotion, ne manquait pas de lui rappeler qu’il ne devait cette grâce qu’au roi seul. « La joie que je sens extrêmement, lui écrivait-il le 6 mars de Saumur, est d’autant mieux fondée que j’ai sujet de croire que, comme vous n’êtes redevable de cette dignité qu’à la seule bonté de sa majesté, elle vous sera plus chère alors. Les bienfaits à l’égard de ceux qui les reçoivent leur font cette douce nécessité de ne pouvoir plus disposer de leur liberté ni de leur affection, parce qu’elles se trouvent engagées à celui qui les a procurés et conférés…[3]… »

Malgré des avertissemens partis de si haut, Retz s’enfonçait de plus en plus dans les cabales. Ce qui peut paraître incroyable de la part d’un esprit si merveilleusement doué et si pénétrant, c’est que, après la majorité du roi, qui mettait fin à l’autorité du duc d’Orléans, en tant que lieutenant-général du royaume, après le départ de la cour de Paris, qui la délivrait de l’oppression de la fronde, après la rentrée triomphante de Mazarin en France, enfin après les victoires du roi sur Condé, il ait osé continuer la lutte

  1. M. de Sainctot, maître des cérémonies, à Michel Le Tellier, 2 mars 1652. Bibl. nat., ms. fr. 4232.
  2. Bibl. nat., Gaignères, ms. 513.
  3. Bibl. nat., Gaignères, ms. 113