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sans aucune chance de succès et même rêver encore le ministère au lieu et place de son rival. Il nous dit bien dans ses Mémoires qu’il ne se faisait plus illusion sur l’issue finale et qu’il ne combattit jusqu’à la fin que par point d’honneur. Et toutefois qui peut le savoir ? qui sait si l’éclat de la pourpre ne l’éblouit pas, à un certain moment, au point de lui dérober le véritable aspect des choses ? Le bruit qu’il serait bientôt premier ministre était colporté en tous lieux par ses amis. « votre nouvelle dignité, lui écrivait Scarron pour le féliciter de son chapeau, sera bientôt soutenue de tout ce qui lui manque pour faire voir à toute la terre que la main qui a fait les cardinaux d’Amboise et de Richelieu n’avait pas encore montré tout ce qu’elle savait faire. J’espère que nous en aurons bientôt le plaisir…[1]. »

Retz avoue, il est vrai, dans ses Mémoires, avec la plus entière bonne foi, que la fronde fut perdue par le départ de la cour, et qu’il n’eut pas, dans le moment, la prévision des conséquences qui devaient en résulter pour lui et ses amis. La vérité est qu’il était dans une situation dont il ne pouvait sortir avec honneur que d’une seule façon, c’est-à-dire en continuant la lutte avec Mazarin, quelque issue qu’elle dût avoir.

Les explications qu’il donne sur la conduite qu’il tint jusqu’au moment ou il fut enfin en possession du chapeau sont fort ingénieuses. « Quelle conduite, dit-il, pouvais-je prendre en mon particulier, qui pût être sage et judicieuse ? Il fallait nécessairement ou que je servisse la reine selon son désir pour le retour du cardinal, ou que je m’y opposasse avec Monsieur, ou que je m’engageasse entre les deux. Il fallait de plus ou que je m’accommodasse avec M. le prince, ou que je demeurasse brouillé avec lui. Et quelle sûreté pouvais-je trouver dans tous ces partis ? Ma déclaration pour la reine m’eût perdu, non-seulement dans le parlement, mais dans le peuple et dans l’esprit de Monsieur ; sur quoi je n’aurais eu pour garantie que la bonne foi du Mazarin. Ma déclaration pour Monsieur devait, selon toutes les règles du monde, m’attirer un quart d’heure après la révocation de ma nomination au cardinalat. Pouvais-je rester en rupture avec M. le prince, dans le temps que Monsieur ferait la guerre au roi conjointement avec lui ? Pouvais-je me raccommoder avec M. le prince au moment que la reine me déclarait qu’elle ne se résolvait à me laisser la nomination que sur la parole que je lui donnais que je ne me raccommoderais pas ? Le séjour du roi à Paris, ajoute Retz qui nous fait toucher du doigt le nœud de la question, eût tenu la reine dans des égards qui eussent

  1. Dernières œuvres de Scarron, 1752.