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comme les épisodes de ses recherches, ses bonnes fortunes d’archiviste, et dont quelques-unes, — les lecteurs de la Revue peuvent s’en souvenir, — n’intéressent pas plus l’histoire de la politique autrichienne que l’histoire de France et l’histoire même des approches de la révolution.. — L’œuvre n’a pas fait défaut à la matière, et non moins habile à disposer de tant de ressources que patient à les réunir, c’est un monument digne d’elle que M. d’Arneth aura bientôt achevé d’élever à la grande mémoire de Marie-Thérèse, un monument vraiment digne d’une grande souveraine et d’une grande nation. Il faut avouer que les étrangers ont une autre manière que nous d’écrire leur histoire nationale. On ne les voit pas affecter d’être obstinément rebelles au respect et, sous un faux semblant d’impartialité, rétifs à l’admiration ; mais surtout, ils ne semblent pas croire, — et ils ont raison, — que ce soit déroger à la justice de l’histoire que d’appliquer une autre mesure à ceux qui ont eu charge d’âmes et de peuples, une mesure plus large, plus généreuse qu’à ceux qui n’ont eu qu’eux-mêmes et eux seuls à gouverner dans cette vie. Ils ne cherchent pas d’abord le point faible, ils n’insistent pas sur les petits côtés, ils n’appuient pas sur le ridicule, ils négligent même certains détails qui n’ont en effet rien de commun, ou peu de chose, avec l’histoire : vous diriez qu’ils se soucient médiocrement de savoir que, si Louis XIV paraissait grand, cela tenait à ses souliers dont les talons étaient très hauts, mais qu’en réalité il était d’une taille fort ordinaire. Il leur arrive enfin souvent de compenser les vertus et les vices, les qualités et les défauts, les succès et les revers, et, quand ils racontent l’histoire de Marie-Thérèse ou de Frédéric le Grand, s’ils pèchent par quelque endroit, ce sera plutôt par excès d’admiration ou même d’enthousiasme. En France, nous ne sommes pas assurés que Louis XIV fût un grand roi. Quand nous interrogeons les cartes, il vient même à quelques-uns des doutes sur la valeur des combinaisons stratégiques de Napoléon. Notre mission dans la littérature historique est de dédorer les idoles.

La plupart de nos historiens se sont montrés sévères pour Marie-Thérèse, sévères jusqu’à l’injustice, et quelques-uns même au-delà. J’oserais à peine reproduire les termes dont Michelet vieillissant n’a pas craint de se servir dans les derniers volumes de son Histoire de France, pour juger et condamner l’impératrice[1]. Il faut espérer que le livre de M. d’Arneth aidera l’avenir à réparer cet excès de sévérité. Marie-Thérèse fut une grande reine, qui voulut et qui sut réunir à toutes les qualités de la femme des qualités viriles d’intelligence et de résolution. Frédéric, mauvais complimenteur s’il en fut, dur aux femmes, cynique en propos comme en actes, mais qui savait juger en

  1. Voyez particulièrement au tome XVI, chap. 18.