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roi les choses de la politique et de la guerre, a rendu noblement justice à l’impératrice-reine. « Par ses soins, dit-il dans son Histoire de la guerre de sept ans, le militaire acquit dans ce pays un degré de perfection où il n’était jamais parvenu sous les empereurs de la maison d’Autriche, et une femme exécuta des desseins dignes d’un grand homme. » La souveraine est dans l’histoire de son règne, la femme est tout entière dans cette simple phrase, vulgaire peut-être, banale au moins sous une autre plume, touchante et profonde sous la sienne ; elle écrit à Marie-Antoinette : « Du dauphin je ne vous dirai rien, vous connaissez ma délicatesse sur ce point : la femme est soumise en tout à son mari, et ne doit avoir aucune occupation que de lui plaire et de faire ses volontés. Le seul vrai bonheur en ce monde est un heureux mariage ; j’en peux parler[1]. » Ces sortes de mots ne s’attendent guère des impératrices ni des reines, il n’en manque pas d’aussi sincères et de vraiment humains dans la correspondance de Marie-Thérèse.

Ce serait trahir M. d’Arneth que de vouloir analyser ses huit volumes en quelques pages, nous ne l’essaierons donc pas. D’ailleurs il reste encore à l’historien de ce long règne quatre années à parcourir et sans doute un ou deux volumes à publier ; mais de ces inépuisables archives dont il a la direction, M. d’Arneth, entre beaucoup d’autres curiosités, a tiré toute une correspondance, inconnue jusqu’à lui, du chancelier Kaunitz et de la marquise de Pompadour. C’est de quoi faire la lumière sur un point obscur de notre propre histoire, et résoudre le problème des prétendus rapports de l’impératrice Marie-Thérèse avec le « ministre en jupons » de Louis XV.

On lit dans presque toutes nos histoires, dans les plus étendues[2] comme dans les abrégés qui servent à l’enseignement de nos collèges, que la fière, « l’austère », la « pudibonde » impératrice, pour entraîner le cabinet de Versailles à signer ce fameux traité de 1756 qui donna pour ainsi dire le signal d’un changement à vue dans l’histoire de la politique française, en effaçant jusqu’au souvenir de l’inimitié deux fois séculaire entre les maisons de France et d’Autriche, aurait écrit de sa main à Mme de Pompadour un billet, devenu célèbre, qui commençait par ces mots : Ma cousine et qui finissait par ceux-ci : Vtire bonne amie ; je se répondrais pas même que quelques-uns n’eussent donné le corps de la lettre. Mais personne encore n’a cité l’original, ni seulement indiqué dans quelle archive on le trouverait. Dirons-nous qu’il serait étonnant que Mme de Pompadour, telle qu’on la connaît, bourgeoise enivrée de la faveur royale, et toute fière de sa honte déclarée comme d’une

  1. Marie-Thérèse, sa correspondance avec Marie-Antoinette, t. Ier, par MM. d’Arneth et Geffroy, 6.
  2. Sismondi, Michelet, Henri Martin, Lavallée, Guizot.