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que le prévenu qui pouvait invoquer la qualité de clerc n’y manquait pas afin d’échapper au juge séculier : il se donnait même quelquefois pour un clerc quand il ne l’était pas ; il se faisait faire une tonsure afin de donner le change au magistrat. Aussi les tribunaux, durant tout le moyen âge et jusqu’au siècle dernier, durent-ils recourir à des experts barbiers pour vérifier si la tonsure était de bon aloi, n’avait point été improvisée et pratiquée de fraîche date.

L’église défendait ses justiciables contre les réclamations de la justice séculière et maintenait son privilège avec une extrême ténacité. La crainte d’encourir l’excommunication pour avoir porté la main sur un homme de Dieu retenait le magistrat dès que quelque malfaiteur excipait de sa qualité de clerc. Tel était au XIIIe siècle le respect témoigné à l’autorité ecclésiastique que, d’après Beaumanoir, si l’évêque venait à juger un larron que la tonsure lui avait fait prendre pour un clerc, et s’il le condamnait à la prison perpétuelle, le juge laïque devait éviter de réclamer le coupable pour le faire pendre. Mais la justice séculière osa plus tard contester à l’église le jugement de bien des causes criminelles, et elle limita le plus qu’elle put le privilège ecclésiastique sur ce point comme sur d’autres. Le moine, le prêtre, tombèrent pour des cas royaux sous la juridiction commune. Si le principe de l’inégalité devant la loi y gagna, l’humanité y perdit souvent. Même sous sa forme la plus dure, le châtiment que l’église infligeait au clerc coupable d’un des crimes que la justice séculière punissait le plus cruellement n’égala jamais en rigueur les galères, c’est-à-dire le mode de détention appliqué sous l’ancien régime au criminel contre lequel on n’allait point jusqu’à prononcer la mort. La réclusion forcée pouvait sans doute être comparée au tombeau : elle en offrait la tristesse et le silence ; mais les galères, qui constituaient par excellence l’emprisonnement infligé pour crime, étaient l’image de l’enfer. Les malheureux qui y étaient condamnés ne se trouvaient pas, il est vrai, confinés au fond d’une cellule, dans un perpétuel et insupportable isolement, mais ils ne voyaient le ciel et ne respiraient à l’air libre que pour endurer sans relâche d’accablantes fatigues ; ils étaient astreints à ramer jour et nuit sur ces longs bâtimens à voiles qu’on avait ainsi transformés pour eux en prisons flottantes et dont l’usage subsista longtemps sur la Méditerranée.

Déjà les anciens faisaient de la rame un supplice pour l’esclave, supplice analogue à celui de tourner la meule ou de travailler dans les mines. On utilisa pour le même objet ceux que la justice frappait de toute sa rigueur, sans cependant leur ôter la vie. On employa des condamnés, des prisonniers de guerre, à un travail de bête de somme, et l’esclavage fut ressuscité sous une forme nouvelle aussi dure que l’avait été la plus dure des servitudes aux temps