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triangle dont la base est appuyée à la Chine et dont le sommet descend jusqu’au cap qui termine le continent de l’Indo-Chine entre le golfe de Siam et la mer de Chine. Un grand fleuve dont la source est dans les montagnes du Thibet et qu’on appelle le Cambodge en France, le Mékong en Cochinchine, entre par le nord en Annam, et trace la frontière occidentale de ce royaume. Il se divise en une multitude d’embouchures, véritable éventail, dont les branches sont reliées entre elles par des canaux transversaux qu’on nomme des arroyos : c’est une sorte de filet dont chaque maille est un cours d’eau et qui couvre toute la Basse-Cochinchine. Le fleuve tout entier roule l’humus et les engrais jusqu’au bord de la mer, où ils forment des alluvions très fertiles. C’est le terrain nourricier de l’Annam : la Haute-Cochinchine vit de l’exportation des produits qu’il fournit ; le riz dont elle s’alimente y est surtout cultivé. L’amiral basa là-dessus son plan, qui consistait à empêcher la sortie des céréales de la Basse-Cochinchine. Les rivières et canaux de ce territoire sont navigables pour la plupart. Les jonques pénètrent dans ces artères, y chargent le riz, qu’elles transportent même à l’étranger, après avoir approvisionné le haut pays cochinchinois. L’amiral supposait qu’en prenant une position telle qu’il pût mettre l’embargo sur ces jonques, il affamerait l’armée du roi Tu-Duc et l’amènerait à capituler. A cet effet, il avait choisi Saigon, ville commerciale et militaire, située à vingt-cinq lieues dans l’intérieur de la Basse-Cochinchine sur une rivière accessible aux bâtimens de fort tonnage. Il quitta donc le cul-de-sac de Tourane et n’y laissa qu’un poste à la garde du drapeau. Une partie de ses forces descendit à Saïgon ; mais ce n’était qu’un bien faible détachement. L’amiral était rappelé en Chine, où la guerre s’était rallumée, et il emmenait avec lui le reste des troupes déjà trop peu nombreuses qu’on avait mises à sa disposition. Cependant son projet ne fut point abandonné, et ses successeurs le poursuivirent jusqu’à des résultats que l’amiral n’avait probablement pas prévus et dont en France on ne se doutait guère. Tout s’enchaîne dans ce monde. Les événemens entraînent des conséquences que le hasard peut bien quelquefois contrarier, mais où le plus souvent il ne remplit qu’un rôle tout secondaire. La logique l’emporte toujours, le contraire est l’exception. L’occupation de la ville de Saïgon, effectuée en 1859, amena la conquête de toute la province de ce nom, puis ensuite l’annexion des territoires limitrophes et enfin l’occupation de la Basse-Cochinchine tout entière. Les Anglais dans l’Inde se sont vus entraînés par la force des choses à des agrandissemens successifs ; leurs annexions n’ont eu de bornes qu’aux barrières mêmes fixées par la nature, c’est-à-dire à l’Himalaya et aux montagnes thibétaines. De même l’occupation française d’une partie de