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l’ancien royaume d’Annam a nécessité d’autres extensions dont il n’est pas certain que le terme soit arrivé. Nous serons peut-être forcés de les continuer, — ce qu’il ne faut ni hâter ni souhaiter peut-être, mais certainement prévoir, car il importe de ne pas toujours se laisser prévenir et dominer par les événemens. Deux mois après le départ de l’amiral Rigault, le capitaine de frégate Jauréguiberry toucha à Saïgon en route pour la Chine, où il portait des renforts. il trouva l’armée annamite, forte de 3,000 hommes de troupes régulières et de 7,000 miliciens, retranchée dans un camp fortifié, dont les lignes incessamment développées tendaient à nous enfermer dans la ville jusqu’au jour où il serait possible de nous y attaquer et de nous rejeter à la mer. Il avait à bord un bataillon d’infanterie de marine. Lancé contre les retranchemens ennemis, ce faible détachement vint s’y briser sans pouvoir les enlever ; le commandant se vit obligé de rembarquer ses soldats et de partir pour sa destination définitive, abandonnant la garnison de Saïgon, qu’il avait vainement voulu dégager.

Deux années s’écoulèrent : deux années de vigilance et de combats sans trêve. Les observations contenues dans la correspondance de l’amiral Rigault devenaient d’une vérité évidente. Nous étions loin du moment où il ne s’agissait que d’une pointe rapide sur Hué pour amener la soumission du gouvernement annamite. Celui-ci avait mis le temps à profit. Les lignes de son armée chaque jour exercée enserraient la ville à 4 kilomètres de distance. Cette armée énormément accrue, ses moyens de défense infiniment perfectionnés, son artillerie complétée, ses retranchemens conduits avec la régularité des fortifications européennes, compromettaient sérieusement le sort de notre faible garnison de Saïgon. Déjà l’ennemi s’était enhardi jusqu’au point de tenter, durant la nuit, l’enlèvement d’un poste fortifié, à très petite distance de la ville. L’amiral Charner, successeur de M. Rigault, arriva enfin avec des forces suffisantes. Il était temps. Encore quelques semaines, et nous allions être obligés d’évacuer Saïgon, puis de nous rembarquer avec notre courte honte, battus et chassés par un barbare. L’amiral Charner fut obligé de livrer aux Annamites deux assauts meurtriers. Il réussit à chasser l’ennemi de ses remparts, mais le succès coûta cher. On vit, chose inouïe chez ces Asiatiques, les Cochinchinois soutenir sans lâcher pied la charge à la baïonnette et combattre les Européens face à face à l’arme blanche, sans reculer d’une semelle. Plusieurs de nos officiers, des centaines de soldats et de marins furent mis hors de combat, et quand l’armée annamite dut à la fin quitter ses retranchemens, elle n’en sortit qu’honorablement, après une défense digne d’estime ; mais cette armée n’était pas détruite malgré ces combats acharnés : les soldats du roi Tu-Duc ne s’étaient point vus