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notre établissement indo-chinois. Nos frontières se trouvèrent reculées jusqu’au golfe de Siam, et nous ne fûmes plus limités de ce côté que par les eaux de l’Océan ou celles du fleuve cambodgien. La position devint inexpugnable : en même temps, un large débouché s’offrait au commerce extérieur. La colonie l’appelait sur toutes les côtes, qu’il vînt de l’Indo-Chine, de la Chine ou de l’Europe même ; elle lui ouvrait tous ses ports, toutes ses voies fluviales. En outre, elle cessait d’avoir à l’extrémité du territoire indo-chinois des provinces où la guerre, la dévastation et le pillage étaient en permanence sous l’inspiration secrète des mandarins de Hué, où le désordre effrayait le commerce, rançonnait et chassait les industries paisibles. Avant la conquête de ces provinces livrées à l’anarchie, notre colonie était, suivant l’expression d’un marin[1], « comme étouffée, dans un coin du monde asiatique, entre la mer de Chine et des terres ennemies, d’où sortaient à chaque instant des bandes insurrectionnelles, stipendiées par la cour de Hué. C’était dans ces provinces surtout que s’organisaient les colonnes qui venaient par intervalles sur notre territoire exciter à la rébellion et répandre l’épouvante ; c’était là encore qu’elles couraient le plus souvent se mettre à l’abri de nos poursuites. »

Un jour, ces bandes assassinèrent un inspecteur des affaires indigènes, le capitaine de Larclauze, qui, confiant dans l’ascendant de son courage, s’était porté seul au-devant d’elles pour les apaiser. « Il ne rentra plus, continue M. Wyts, sous le toit où sa jeune femme avait vainement tenté de le retenir, et l’on retrouva plus tard son corps mutilé. »

La mesure était comble, et il n’en fallait pas tant pour déterminer l’explosion que le gouverneur, amiral de La Grandière, méditait et dont il avait reconnu la nécessité politique. On était au mois de juin de l’année 1867. En quarante-huit heures, l’expédition fut organisée. Toutes les canonnières furent bondées d’hommes et de matériel. Il y avait dans ces provinces, comme partout dans l’empire d’Annam, des forteresses à occuper, des villes à prendre ; mais la population, prompte a toute espèce de guet-apens, n’était plus celle qui nous avait si vigoureusement combattus devant Saïgon, à l’origine de notre occupation. La terreur de nos armes était bien établie. Nul n’entretenait plus la pensée audacieuse de nous résister en rase campagne. Trois jours après le départ de l’expédition, les provinces récalcitrantes étaient rangées sous notre domination. Villes, forts, batteries, arsenaux, jonques de guerre et de commerce, fonctionnaires de tout ordre, habitans de toute profession et de tout caractère, agriculteurs ou pirates, gens de guerre et gens

  1. Rapport de M. Ed. Wyts, capitaine de frégate.