Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/630

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ceux-ci n’attendaient que l’occasion de se jeter sur les débris de la population cambodgienne, clair-semée, énervée et résignée à une dépendance qui paraissait désormais inévitable. Mais le Siam lui-même n’est libre que de nom. Les conseils de l’Angleterre y sont respectueusement suivis, et les intérêts anglais y sont servis avec une parfaite déférence. Nous étions donc exposés à voir s’établir à nos côtés, sur un fleuve dont il nous était nécessaire de maintenir la navigation libre, une puissance de premier ordre, dont les intérêts rivaux devaient nous susciter beaucoup d’embarras politiques et d’entraves commerciales.

Nos gouverneurs, comprenant ce danger, n’avaient pas manqué de le signaler. Annexer le Cambodge à la Basse-Cochinchine, c’était assumer une grosse responsabilité, encourir des dépenses dont la rémunération serait au moins fort incertaine, et d’ailleurs pouvait-on trouver dans l’utilité seule d’un territoire une raison suffisante pour s’en emparer ? D’un autre côté, le souverain du Cambodge, comprenant sa position, cherchait un protecteur puissant. Il sollicitait le protectorat de la France. Il l’obtint, et devint ainsi inviolable. Ses sujets n’y pouvaient rien perdre, car la domination de Siam, plus forte, est aussi plus fiscale que celle du roi de Cambodge. Or les sangsues sont très nombreuses sur les bords du fleuve de ce nom. La population du pays a de leurs morsures une très grande expérience et les supporte avec patience, sachant qu’il est impossible d’y échapper ; elle sait aussi que les sangsues les moins malfaisantes sont celles qui sont le plus promptement repues. Les Cambodgiens devaient donc préférer leur petit souverain au grand roi de Siam. C’est ainsi que notre protectorat fut établi dans leur pays à la satisfaction générale.

L’écheveau de notre occupation en Cochinchine continuait ainsi à se dévider. Nous subissions et, autour de nous, le pays subissait la loi inévitable de notre occupation ; cependant nous étions loin d’en avoir épuisé toutes les conséquences. Notre protectorat n’avait pas été agréable à la cour de Siam. Elle s’était vu enlever une matière imposable qu’elle convoitait depuis longtemps et qui semblait au moment de tomber sous la serre de ses collecteurs. Ses protecteurs à elle, les Anglais de l’Inde, restaient étonnés de ce coup d’audace diplomatique. Les mandarins de Bangkok ne purent contenir leur désappointement et réclamèrent. Notre gouverneur finit par leur faire entendre raison. L’offre d’un traité de commerce, qui fut bientôt conclu entre eux et nous, leur ferma la bouche.

Aussitôt après cet exploit diplomatique, vers l’année 1867, nous vîmes la nécessité de comprendre dans nos limites trois provinces nouvelles, nommées Ving-Long, Chandoc et Hatien. Elles nous séparaient de la mer, et leur annexion augmenta l’importance de