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20 hectares. C’est seulement dans le sud de l’Inde, épargné par les fureurs iconoclastes de l’invasion mahométane, à Madura, à Tanjore, à Trichinopoly, qu’on trouve encore des édifices religieux de cette dimension et de cette magnificence.

« Le prince fut reçu à l’entrée par le grand prêtre accompagné des nombreux desservans. Lorsque, après la remise d’une adresse, il passa sous la gopura (pyramide qui couronne le portique des temples), une averse de poussière d’or fut lancée du sommet par des mains invisibles. On l’enveloppa lui-même dans un châle précieux. Une troupe de bayadères semèrent des fleurs sous ses pieds, lui jetèrent des filamens d’or sur les bras et sur le front, enfin lui passèrent sur les épaules des guirlandes odoriférantes qu’elles portaient dans des paniers. La suite fut décorée de la même façon, et même le chanoine Duckworth ne put s’y dérober, rappelant cette plaisanterie de l’évêque Hébert dans une circonstance analogue, « qu’il ressemblait à un sacrifice plus qu’à un prêtre. » Le temple forme un rectangle de 730 pieds sur 830. Une salle de 985 colonnes sculptées, avec une bordure d’arcades, — une succession grandiose déportes, de portiques et de chapelles, — des idoles monstrueuses, — de terribles figures aux yeux de pierre, — des prêtres glissant dans l’ombre, — le sanctuaire brillamment illuminé, où, par une faveur sans précédens, on permit au prince et à sa suite de jeter un rapide coup d’œil, — c’était un spectacle aussi étrange que curieux, mais qui laissait en quelque sorte une sensation de mélancolie profonde. »

Trichinopoly, l’étape suivante, renferme une pagode, peut-être plus remarquable encore, qui produit l’effet d’un rêve fantastique. De la terrasse la plus élevée, c’est à peine si l’œil peut embrasser, dans son stupéfiant ensemble, ce labyrinthe de cours, de portiques, de pyramides et de chapelles qu’enferme une haute enceinte. Une seule salle contient plus de mille colonnes en granit d’un seul bloc, sculptées avec la perfection minutieuse de l’art indigène.

Madras retint ensuite les voyageurs pendant cinq jours ; mais, comme c’est une ville presque exclusivement anglaise, les fêtes y revêtirent un caractère européen qui leur ôte un peu d’intérêt à nos yeux. Enfin le 23, le prince arrivait par mer à Calcutta, où sa réception ne fut ni aussi pittoresque ni aussi bruyante qu’à Bombay, mais présenta peut-être un caractère plus solennel, comme il convenait à l’entrée de l’héritier présomptif dans la capitale officielle de l’empire anglo-indien. Parmi les rajahs qui vinrent lui présenter leurs hommages en cette occasion se trouvaient les potentats les plus puissans en même temps que les plus intelligens de l’Inde septentrionale. Quelques-uns des portraits que nous en trace M. Russel méritent d’être reproduits ici :