Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/685

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« A dix heures trente minutes, l’approche du maharajah de Puttiala fut annoncée par la salve d’obligation. C’est un bel homme de trente ans, à la physionomie mélancolique et anxieuse. Comme il s’avançait de l’antichambre sous la conduite du major Sartorius, son œil s’arrêta avec une expression de stupeur sur le trône vide qui occupait le fond de la salle ; mais ses traits s’éclaircirent visiblement quand il aperçut le prince debout, sur le seuil du salon latéral, l’attendant pour lui tendre la main et le conduire à un sofa… Vint alors le maharajah de Jodhpour, un chef fort pittoresque avec une suite splendide. Il serait impossible de décrire la richesse des pierreries qui scintillaient sur son cou et sa poitrine. Il portait des jupons plissés, comme la fustanelle des Albanais, qui lui descendaient jusqu’aux talons et rappelaient les robes des derviches tourneurs. Le maharajah de Jeypore, qui lui succéda, avait des lunettes, un engin qui, pour une raison ou l’autre, ne s’accorde jamais avec un costume oriental. Mais tous se virent éclipsés par le maharajah du Cachemire et sa suite. Le souverain de Cachemire est un bel homme, plus dégagé dans ses allures que ne le sont généralement les princes d’Asie. Il porte, comme ses chefs, la coiffure des sikhes, un turban des plus gracieux, cavalièrement incliné sur l’oreille avec une brillante aigrette en plumes d’oiseaux de paradis. Quant à la plaque de l’aigrette, composée de diamans, tout ce qu’on en peut dire, c’est qu’elle produisait un effet d’éclair chaque fois que le maharajah tournait la tête pour causer avec le prince.

« Après la visite du généreux et martial Scindia, maharajah de Gwalior, la porte se rouvrit pour livrer passage à une paire de petites jambes que recouvrait un châle. Au sommet du châle, un semblant de tête, mais de figure point, car sur cette tête était rabattu un capuchon de soie muni d’un épais voile d’étoffe. C’était la sultane Jehan, begum du Bhopal, qu’on dit encore très belle, bien qu’elle approche de la quarantaine. A côté d’elle marchait sa fille, emmitouflée de la même façon, et en apparence du même âge, bien qu’elle soit une jeune personne de dix-huit ans. Les sirdars de la suite étaient vêtus avec la dernière magnificence ; on remarquait parmi eux deux jeunes gens couverts de bijoux, qu’on disait les neveux de sa hautesse, et un vieux gentilhomme, Jam Alladin Khan, fort beau type de ministre indigène. La begum semblait parfaitement à son aise et conversa gaîment avec le prince, tandis que sa fille s’entretenait avec sir Bartle Frère. »

Le 2 janvier 1876, le prince quittait Calcutta par la ligne qui remonte la vallée du Gange, et le lendemain, après s’être arrêté quelques heures à Bankipore, où quatre cents éléphans formaient la haie entre la station et la résidence du gouverneur, il arrivait vers la nuit à Bénarès, « la Borne et la Jérusalem des Hindous. » Un