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Ils ont beaucoup chargé Narcisse ; ils pensent trouver la preuve des pillages qui lui ont été reprochés dans la manière dont l’émissaire a été exécuté. Les conceptions de l’ingénieur étaient excellentes, disent-ils, mais Narcisse a voulu gagner sur les matériaux et sur la main-d’œuvre ; il a été coupable de deux façons : il a fait avec les entrepreneurs parcellaires des marchés au rabais, et il les leur a laissé exécuter bien ou mal ; nous aurions ici un exemple des moyens qu’avait un puissant affranchi pour acquérir ou pour augmenter une immense fortune.

Il est certain que ces favoris des empereurs étonnaient Rome par leurs énormes richesses : on a évalué celles de Pallas à 60 millions de notre monnaie, et celles de Narcisse à 80. Polybe et Callistos n’étaient sans doute pas moins favorisés. Il est très vrai, Tacite en témoigne sans cesse, quelles plus graves accusations circulaient dans Rome sur les intrigues auxquelles ces hommes avaient, disait-on, recours. Ne faut-il pas toutefois tenir compte des jalousies et des haines que suscitait dans les rangs de l’aristocratie romaine, alors bien déchue, le succès des affranchis ? On sait combien, depuis Auguste, le gouvernement impérial, peu sûr du concours de la noblesse, avait apprécié les services très effectifs de cette sorte de classe moyenne récemment parvenue à la vie politique. Il n’est pas impossible qu’un certain nombre d’entre eux se soient enrichis légitimement par le commerce et l’industrie, qui prenaient alors un si grand essor dans le monde romain, grâce en partie à leur active intelligence. Narcisse parait bien avoir commis d’accord avec Messaline des extorsions et des cruautés ; Agrippine, dont il était l’ennemi déclaré, l’a publiquement accusé, comme nous le dit Tacite, de s’être approprié une partie des fonds destinés au dessèchement du Fucin. La conjecture de MM Brisse et de Rotrou est donc ingénieuse et vraisemblable ; elle a le grand avantage d’être en accord avec les bruits rapportés par Tacite et Dion Cassius. Cependant cet accord même est peut-être une cause de suspicion ; il n’est pas absolument décidé si les imperfections du tunnel doivent être imputées de préférence aux entrepreneurs ou au directeur, et s’il y a eu de la part de ce dernier dilapidation ou simple négligence. Nous avons vu que les accusations formulées lors de la première inauguration ne s’étaient pas vérifiées : l’accident survenu plus tard était peut-être la meilleure justification des premiers travaux. Il semble donc que les charges contre Narcisse, quelque probables qu’elles soient, ne sont pas accompagnées ici des preuves les plus concluantes.

Suivant les calculs de M. Brisse, le premier écoulement du Fucin a nécessairement duré un an, pour faire baisser le lac de 2 mètres au plus. On peut en conclure que Narcisse n’a pas achevé l’œuvre