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physiologique ; il y en a aussi dans l’ordre psychique. Les grands criminels sont de ce nombre. Ce sont de malheureux infirmes qu’il faut plaindre, non flétrir et punir. Moralement, ils sont irresponsables : est-ce la faute du bossu, s’il est difforme ? de l’idiot, si son intelligence est incapable de fonctionner comme la vôtre ou la mienne ?

En quoi donc consiste la difformité morale du criminel ? En ce que chez lui certains sentimens font naturellement défaut ou sont d’une faiblesse exceptionnelle. Il y a dans le cœur de l’homme un amour inné de ce qui est juste et bien : c’est le sens moral. Par lui, nous éprouvons une certaine satisfaction à vouloir et à faire ce que le devoir commande. Cette satisfaction, toute âme normalement constituée a une tendance à la rechercher, et cette tendance est un véritable instinct, une force antagoniste de celles qui nous portent au mal. Si le sens moral est nul ou peu développé, d’autres instincts peuvent le remplacer. Ce sont les sentimens altruistes : affections de famille, amour de nos semblables, compassion pour les souffrances imméritées, etc. Ces sentimens, quand ils ont une énergie suffisante, maintiennent l’homme dans les limites de la justice et du devoir. Moins purs que le sens moral, ils sont souvent plus puissans ; la conduite qu’ils inspirent est d’une moralité moins élevée peut-être ; mais, en définitive, le résultat extérieur est le même.

Enfin, l’entraînement au mal trouve un dernier obstacle dans les sentimens égoïstes rationnels : crainte de la honte, du mépris, des punitions pécuniaires ou corporelles, amour instinctif de la vie. Ces sentimens, ordinairement très forts, servent de contre-poids aux mauvaises passions ; ils peuvent encore arrêter sur la pente du crime ceux que les mobiles précédons ne retiendraient pas.

Imaginez maintenant une âme à qui la nature aurait refusé ces trois ordres de sentimens, ou qui ne les posséderait qu’à un très faible degré. Il ne sera pas même nécessaire que les impulsions perverses soient chez elle d’une puissance exceptionnelle ; pourvu qu’elles y emportent sur les autres, l’occasion donnée, le crime suivra, fatal, inévitable. En l’absence de l’idée pure du devoir, qui seule rend possible l’exercice du libre arbitre et permet à l’homme de faire ce qu’il ne désire pas et de ne pas faire ce qu’il désire, la volonté ne peut être que l’instrument des instincts dominans, au service desquels se mettent également toutes les facultés intellectuelles. Ce n’est plus qu’une question de mécanique morale.

Un grand criminel, un criminel de sang-froid, est un homme chez qui manquent précisément, par une infirmité congénitale, ces sentimens capables de combattre et de neutraliser les passions mauvaises, Il n’a pas le sens moral, et la preuve c’est qu’il n’éprouve aucune répulsion contre l’acte odieux avant de le commettre, et