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qu’il est inaccessible au remords après l’avoir commis. Il pourra témoigner une apparence de repentir ; mais, qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas là le véritable remords, le remords moral ; c’est la crainte du châtiment, c’est l’instinct de conservation qui se réveille ; c’est aussi l’espérance d’obtenir, en ayant l’air de détester son crime, un adoucissement de peine. Le vrai remords est une douleur qu’on pourrait appeler désintéressée ; il est une protestation du sens moral dans l’âme du coupable. Loin de redouter la punition, il l’appelle, il l’invoque, il court au-devant d’elle. Les grands criminels, dénués de sens moral, ne le connaissent pas et ne peuvent le connaître. C’est ce que paraissent établir les témoignages considérables de M. Hill, inspecteur des prisons en Écosse pendant de longues années, et du professeur Laycock, d’Edimbourg, qui tous deux ont apporté la plus grande attention à l’étude des criminels ; ils affirment que tous ou à peu près sont moralement imbéciles. Sur 390 meurtriers non aliénés que renferma la prison de Perth pendant une période de douze ans, aucun d’eux, si ce n’est un seul peut-être, n’a manifesté le plus léger remords. De même, les 150 femmes non aliénées, convaincues d’infanticides, ont montré la plus grande insensibilité pendant les nombreuses années de leur détention. Et cependant toutes ces femmes n’appartiennent pas, par leur naissance et leur éducation, aux dernières classes de la société. Deux seulement ont témoigné du chagrin et du repentir. »

Une autre preuve de l’absence de véritable remords chez les grands criminels, c’est la fréquence des récidives. Celui qui, ayant cédé à l’entraînement momentané et accidentel d’une passion mauvaise, n’est pourtant pas dénué de sens moral, éprouve une telle douleur après le crime, qu’on peut affirmer, avec une certitude absolue, qu’il ne recommencera pas. Les grands criminels ne peuvent être arrêtés davantage par les sentimens altruistes : la nature les leur a également refusés. Rien de plus caractéristique que leur insensibilité devant les souffrances qu’ils infligent. M. Despine cite des raffinemens de tortures appliquées pendant des années entières, sans remords jusqu’au bout, par des maris à leurs femmes, par des parens à leurs enfans ; on n’en peut lire le récit sans stupeur. Nul motif de haine chez ces monstres contre leurs innocentes victimes qui, parfois, joignaient à la résignation et à la douceur l’attrait touchant de la beauté. Il n’est pas rare que l’assassin s’endorme d’un profond et tranquille sommeil à côté du cadavre qu’il vient de faire, donnant ainsi un démenti au mot célèbre de Chateaubriand : « Le tigre déchire sa proie et dort ; l’homme devient homicide et veille. »

Enfin les grands criminels sont également dépourvus de certains sentimens égoïstes qui pourraient lutter contre leurs mauvais instincts. Les précautions les plus vulgaires pour échapper aux