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soient sacrifiés à l’Espagne, qui peut-être les dépouillera de leurs privilèges. Ils méritent un meilleur sort, et soyez convaincu que, si vous l’ordonniez, tous courraient aux armes. Les otages de Vizcaye se sont expliqués confidentiellement dans les mêmes termes. » Et Moncey lui-même, dans une dépêche au ministre de la guerre, reconnaissait que « les populations de Vizcaye et d’Alava avaient reçu ses soldats comme des frères et amis et qu’elles prêtaient leurs services avec franchise et loyauté. » Pendant ce temps, il est vrai, les contingens basques faisant partie de l’armée espagnole défendaient le terrain pied à pied devant l’ennemi ; mais dans ces provinces comme dans le reste de l’Espagne, les gens des classes éclairées avaient accueilli favorablement au début l’apparition des idées françaises ; les autres songeaient avant tout à leurs fueros, qu’ils voyaient menacés par les politiques de Madrid, sans s’apercevoir que les projets de réforme venaient précisément d’outre-monts. A peine détrompés, les uns et les autres n’allaient pas tarder à se tourner résolument contre la France. Néanmoins en 1864, M. Sanchez Silva reprochait encore aux Basques leurs sympathies étrangères, et don Pedro de Egaña dut se lever pour les en défendre. Ces sympathies existaient-elles réellement ou bien n’étaient-elles pas chez plusieurs le fait d’une attitude politique où il entrait en somme plus de dépit contre les Espagnols que de véritable affection pour nous ? Dans la foule des brochures plus ou moins bizarres publiées à propos de la dernière guerre civile, il en est une intitulée Vive la Navarre ! et dont l’auteur, qui signe simplement « un paysan navarrais, » va jusqu’à conseiller à ses compatriotes la séparation d’avec l’Espagne et l’union à la France. Moi-même je ne cacherai pas qu’à plusieurs reprises, tant en Navarre que dans les provinces basques, j’ai entendu ouvertement soutenir par des hommes dont je ne pouvais suspecter ni l’honorabilité ni la bonne foi cette idée d’une annexion à la France, qui ne m’a jamais paru une solution, et qu’un Français en tout cas ne songerait pas à leur proposer.

Nous touchons ici de nouveau à cette question de race que j’ai déjà signalée et qui seule peut-être permet d’expliquer sûrement l’histoire et la politique séculaires du peuple basque. S’il a eu ce courage et ce bonheur insigne de conserver des libertés que d’autres se sont vu ravir, ce n’est pas seulement, comme on l’a dit, que les Basques aient toujours pris soin d’envahir à la cour les places qui donnaient l’oreille du maître et d’user de cette influence au bénéfice de leur pays natal, ce n’est pas non plus que les prêtres aient depuis longtemps choisi ce coin de terre comme la place d’armes et le port de refuge du catholicisme attaqué et qu’ils aient employé, pour le défendre et le servir auprès des gouvernemens, toutes les subtilités de leur politique : la véritable raison doit être