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matériel, se considérait, malgré les inévitables cas de force majeure, comme responsable des objets dont la garde lui était confiée. La situation était embarrassante. Quelles que fussent son énergie et sa vigueur, il était incapable d’accomplir seul le travail que nécessitait la mise en cachette des objets qu’il voulait soustraire aux réquisitions des membres de la commune ; mais il était dangereux pour lui de prendre plusieurs confidens, car c’était risquer de compromettre la mission qu’il s’était imposée. Il pouvait compter absolument sur le concierge, ancien soldat, homme froid, peu parleur, déterminé à faire le possible et l’impossible pour protéger le ministère dont il était en quelque sorte le gardien officiel. M. Gablin avait sous ses ordres directs quelques agens inférieurs dont il avait pu apprécier les fermes qualités ; ce fut ceux-là qu’il résolut d’associer à l’œuvre de préservation qu’il voulait accomplir. Il fallait agir très secrètement, car le ministère, quoique abandonné par ses chefs, était plein de domestiques et sans cesse visité par des employés restés à Paris qui « venaient aux nouvelles. » En outre, une partie des appartemens avait été disposée en ambulance pendant le siège et contenait encore une assez grande quantité de blessés dont les soins exigeaient le va-et-vient perpétuel d’un certain nombre d’infirmiers. Avant de quitter Paris, l’amiral Pothuau avait prescrit de maintenir l’ambulance au ministère ; il avait jugé avec sagacité que cela ne nuirait pas au salut de l’hôtel de la marine. M. l’inspecteur général Raynaud, M. le docteur Le Roy de Méricourt, M. le docteur Mahé, médecin résidant au ministère, avaient accepté avec dévoûment la mission de veiller sur les blessés. Certes ces messieurs, dont le courage sut ne pas faiblir un seul instant, auraient au besoin prêté main-forte à M. Gablin ; mais autour d’eux il pouvait y avoir là des yeux dont il fallait tromper la curiosité et des lèvres qui seraient peut-être involontairement indiscrètes.

Ce fut de grand matin, avant que le ministère fût éveillé, que M. Gablin mena son opération à bonnes fins. Aidé de M. Langlet, ancien maître de la marine, adjudant des plantons, il mit à l’abri de toute recherche les objets précieux que renfermait l’hôtel, qui, malgré sa façade imposante, n’est qu’une vieille maison, percée de couloirs, de corridors, encombrée d’escaliers, de paliers inutiles, de recoins arbitraires, et où les fosses d’aisances s’ouvrent loin de la cour, dans les bâtimens mêmes, auprès de la porte d’un petit appartement. M. Juin, serrurier, employé régulièrement au ministère, souleva la dalle de clôture ; on s’assura que la cavité n’aurait pas besoin d’un nettoyage spécial avant plusieurs mois et l’on y précipita une bonne partie de l’argenterie, qui représentait une valeur considérable ; on y laissa glisser également plusieurs caisses contenant des médailles de sauvetage destinées à être distribuées en