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récompense des belles actions si fréquentes dans le corps de la marine. Puis on scella la pierre, en effaçant tant bien que mal les traces du travail, qui du reste n’apparaissaient guère, car l’endroit, entouré de murs, placé sous une voûte, est dans une obscurité presque complète. Les richesses étaient enfouies et mises hors de la portée d’une première recherche ; mais cela ne suffisait pas, car le ministère possédait quelques armes qu’il était urgent de soustraire aux fédérés. M. Gablin, ayant congédié le serrurier après lui avoir expliqué que sa propre sécurité exigeait qu’il gardât le secret, fit venir M. Manfrina, le fumiste attitré du ministère. Dans des tuyaux de cheminées appartenant à des chambres abandonnées et désertes, 1,200 fusils et 400 revolvers furent bloqués derrière des cloisons construites en briques, à une hauteur où il était probable que l’on n’irait pas les chercher. Il fallait prévoir que ces chambres pourraient être habitées momentanément par les gens de l’insurrection et que l’on y ferait du feu ; une ouverture suffisante pour laisser échapper la fumée fut donc ménagée entre les deux parois des cheminées où l’on dissimulait ce petit arsenal. Ceci fait, on attendit avec calme la visite des délégués du comité central ou de la commune, car alors on ne savait encore à laquelle de ces deux autorités on allait avoir à obéir où à résister, et, en réalité, on ne le sut jamais exactement pendant toute la durée de l’insurrection, car ces deux bandes rivales se disputèrent incessamment le pouvoir. Sans espérer que l’on échapperait à l’ingérence des maîtres de l’Hôtel de Ville, on put croire que l’on était oublié, car pendant douze jours le ministère de la marine fut livré à lui-même, comme un vaisseau désarmé mis à la cale et rejeté du service. Cette période de sécurité touchait à son terme.


II. — LE SOUTERRAIN.

Le 30 mars, vers dix heures du soir, comme M. Gablin rentrait au ministère après avoir été conférer avec M. de Champeaux, il aperçut une sentinelle qui était de faction devant la porte. Il entra et vit tout un bataillon fédéré, le 224e, appartenant au quartier de la Villette, qui bivouaquait dans la cour principale autour de trois grands feux. M. Gablin s’adressa au commandant : — Qu’est-ce que TOUS faites ici ? — Nous sommes envoyés par la commune pour tenir garnison : ce soir, demain au plus tard, un délégué prendra possession. — Il n’y avait qu’à se soumettre, et l’on se soumit. Le délégué ne parut pas, et pendant que les fédérés organisaient leur installation dans les couloirs et dans les postes, on l’attendit vainement. On l’eût peut-être attendu longtemps encore, car l’administration de la marine ne paraissait qu’un incident sans importance aux