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marins de la commune plus prudens, et ils mirent quelque attention à ne plus sortir de leurs abris lorsqu’ils apercevaient les marins réguliers. Le colonel Block laissait volontiers ses hommes s’aventurer sans lui ; il avait souvent affaire à Paris, lorsque l’on se battait aux postes avancés. Latappy faisait valoir cette circonstance, réclamait les marins de la garde nationale comme devant dépendre de son ministère et n’obtenait rien, car la commune, fort empressée d’accueillir tous les étrangers qui, se présentant à elle, donnaient à l’insurrection un caractère cosmopolite, se sentait fière de voir un « colonel américain » commander un prétendu corps d’élite. Dans un temps où tout était anormal, cette situation anormale n’était pas pour surprendre, et les choses restèrent en l’état, jusqu’au jour où Rossel, remplaçant Cluseret incarcéré (30 avril), fut nommé délégué à la guerre. Rossel, malgré son esprit brouillon et rêvasseur, essaya de remettre un peu d’ordre dans le chaos au milieu duquel il se perdait ; ses efforts, stérilisés d’avance, ne pouvaient aboutir à rien, et il est fort probable que lui-même en connaissait l’irrémédiable inutilité. Cependant il fit rendre par le comité de salut public un décret qui plaçait le bataillon des marins de la garde nationale sous la direction hiérarchique du ministre de la marine, et qui, pour toutes les opérations militaires, soumettait celui-ci à la délégation de la guerre. Latappy gagnait un bataillon et perdait toute initiative ; il fut peu satisfait, d’autant moins satisfait que, tout en étant débarrassé du colonel Block, dont il ne voulait plus, il vit ses fusiliers. marins passer sous les ordres de Durassier, dont il n’aurait pas voulu davantage.

Durassier, quoiqu’il eût été révoqué de ses fonctions de commandant en chef de la flottille et qu’il eût même passé quelques jours en prison, était remonté à la surface des eaux troubles où l’on péchait alors. Grâce à quelques influences habilement employées, il avait reparu sous une autre forme et avait été désigné pour remplacer « le colonel Okldwicz, » ancien saltimbanque, ancien chanteur, ancien directeur de café-concert, ancien fabricant de chaussures, ancien maître de piano, dont la bravoure extravagante ressemblait à un défi perpétuel contre la mort. Oklowicz finit par être très grièvement blessé et avait eu pour successeur Durassier, qui, avec les marins de la commune et d’autres fédérés, entretenait à Asnières, sur la rive droite de la Seine, un feu de tirailleurs contre nos troupes postées sur la rive gauche. Durassier avait son quartier-général à Levallois-Perret et portait le titre de colonel d’état-major commandant les forces d’Asnières. Il estimait sans doute que ses hauts faits n’étaient point suffisamment célébrés par les journaux amis de la commune et dévoués à Rossel, car je retrouve la minute d’une lettre fort probablement écrite sous son inspiration